Gamin élevé par sa mère, père absent, c’est le début de tout conte de fée qui se terminera bien pour son personnage principal. Malheureusement, la vie d’Aymeric n’a jamais été un conte de fée. Bien qu’il ait été élevé exclusivement par sa mère, car son père était absent de la maison et ne leur rendait jamais visite — sa femme l’ayant trompé le jour de leur mariage, il ne pouvait avoir de meilleure excuse à son absence —, la matriarche n’était pas un exemple d’amour et de responsabilité. Alcoolique et démissionnaire, celle-ci n’a jamais pris soin d’Aymeric. Elle passait le plus claire de son temps soûle devant la télévision. Dès qu’il a été en âge d’aller seul à l’école et de faire la cuisine, il s’est débrouillé seul. Sa vie était parsemée par les soirées auxquelles sa mère l’emmenait et où il passait son temps assis à faire les fonds de verre de ses copines. Ainsi a commencé sa lente descente aux enfers, à l’âge de six ans, alors qu’il terminait les cocktails alcoolisés sans se faire repérer.

Deux ans plus tard, au sortir d’une soirée, sa mère, hilare, l’a mis dans un taxi, ordonnant au chauffeur de le ramener chez eux, et a promis à son fils de le rejoindre très bientôt. Petit enfant taciturne et silencieux, Aymeric n’a pas protesté. Il n’a pas non plus protesté quand il n’a pas eu de nouvelles le lendemain, ni le surlendemain, ni la semaine suivante. Il a fait sa vie, le coeur battant la chamade à tout instant, priant de tout son coeur pour voir sa maman ouvrir la porte de leur appartement et fondre dans ses bras. Aymeric croyait dur comme fer à la bonne étoile de Pinocchio, mais celle-ci n’a jamais réalisé son rêve. Ce n’est qu’au bout de deux semaines que leur voisin de palier s’est aperçu que quelque chose ne tournait pas rond dans la routine du garçon. Il était un bon ami de la famille et il lui a été relativement facile de gagner la confiance d’Aymeric. Bien que conscient de son imprudence, il a exaucé le souhait du petit de ne rien dire à personne sur la disparition de sa mère. Celle-ci laissait de temps à autres des messages vocaux sur le téléphone de la maison, pour le rassurer, mais elle s’assurait d’appeler quand il était à l’école. Comme si elle l’évitait. Comme si c’était sa manière à elle de lui faire comprendre qu’elle ne reviendrait jamais.

Les années sont passées. Aymeric n’a plus jamais revu sa mère. Celle-ci n’est pas rentrée. Jamais. Les messages vocaux se sont de plus en plus espacés jusqu’à disparaître complètement. Il a grandi avec Evan, le voisin qui s’est occupé de lui comme d’un père et n’a pas pu empêcher sa déchéance. Il dira plus tard à sa femme : « Il y a des moments où je regarde ce gamin que j’ai élevé, que je pensais connaître par coeur, et je me demande qui il est ». Il aura bien essayé de l’aider, de le comprendre et de le soutenir, mais rien n’a jamais marché. Peu importait les fois où Aymeric revenait, complètement défoncé, à la maison et promettait, en larmes, de ne plus jamais recommencer, il recommençait toujours. L’amour n’a servi à rien. Pourtant, Evan l’aimait comme un père.

- Sais-tu combien je t’aime ? Tous les mots de l’univers ne suffiraient pas à décrire combien je t’aime. Et même si tu pouvais tous les réunir, ça ne serait pas assez pour décrire ce que je ressens pour toi. Je t’aime plus que tout.
- Plus que tout ?
- Plus que tout.

A l’âge de dix huit ans, Aymeric était accro au crystal meth. Petit à petit, à force de défaite, Evan a fait ce que tout enfant en échec craint de ses parents : il a baissé les bras. Il a perdu foi en Aymeric et l’a abandonné. Au début, ce dernier a tenté de trouver refuge auprès de la future femme de son père de coeur. Celle-ci aura bien essayé de raisonner Evan, en lui disant qu’Aymeric risquait de mourir s’il ne faisait rien. Mais Evan était convaincu qu’il allait mourir même s’il faisait quelque chose.

Alors du jour au lendemain, Aymeric a pris ses affaires et est parti. Il a fait comme sa mère et a disparu dans la nature. Il a vécu deux ans dans la rue, survivant au mieux, enchaînant les petits boulots peu recommandés, gardant tout l’argent qu’il se faisait. Son addiction n’allait pas mieux, au contraire. Elle empirait. La drogue le faisait se sentir bien mais à chaque redescente, il se vomissait et se promettait de ne jamais recommencer. Evan et sa femme pensaient ne plus jamais avoir de nouvelles de leur fils d’adoption jusqu’au jour où, au bord du gouffre, Aymeric s’est présentait à leur porte en les suppliant de le laisser revenir. Ils n’ont pas pu lui refuser l’aide qu’il demandait. Il prétendait qu’avec eux, il irait mieux, qu’ils lui donneraient la force d’arrêter la drogue et les excès. Malheureusement sa volonté ne suivait pas. Il a replongé, toujours plus profondément.

- Aymeric, il faut que tu t’en ailles.
- Quoi ? Mais pourquoi ?
- On ne peut plus t’aider. On ne sait plus quoi faire… Il faut que tu sois seul.
- Je comprends pas. Papa, tu peux pas me faire ça !? Je suis rien sans vous.

Malgré les pleurs, les crises et les cris, cette fois-ci, ils n’en ont pas démordu. Deux semaines plus tard, ils accompagnaient un Aymeric plus calme mais toujours terrifié à l’aéroport. La Corée du Sud avait toujours été son rêve, alors pourquoi ne pas l’aider à le réaliser ? Les valises enregistrées et embarquées, le grand gamin se tient devant ses parents d’adoption qui l’avaient élevé durant quatorze ans. Sa mère adoptive le serre dans ses bras, enfouit sa main dans ses cheveux bouclés. Elle lui dit qu’elle l’aime, qu’ils seront toujours là pour lui. Il lâche un espèce de couinement étouffé et ne répond pas, incapable de prononcer le moindre mot sans s’effondrer. Il est terrifié. Partir seul à l’autre bout du monde alors qu’il n’est pas foutu de s’occuper de lui-même. Pourtant il veut être fort et les rendre fier. Il n’a jamais rien réussi dans sa vie, mais il veut réussir. Il veut voir la fierté rayonner dans leurs yeux quand ils le regarderont à son retour. Aymeric se tient devant son père, lèvres pincées. C’est celui-ci qui fait le premier pas et prend son fils dans ses bras. Tout leur parait plus clair. Ils sont vraiment un père et son fils à présent. Pas un gamin que le voisin de palier aura recueilli à l’abandon d’une mère indigne. L’avion va décoller. Ils n’ont plus le temps. Pourtant Evan le serre fort. Le plus possible. Aymeric pleure dans ses bras.

- Plus que tout ?
- Plus que tout, mon fils.