twenty years we were here

in a week we're gone (before you exit)

L’été battait en son plein et avec la chaleur Taewoon semblait reprendre le contrôle sur sa vie. Son frère était rentré quelque temps auparavant et le second n’allait pas tarder à arriver. Tout allait bien. Il essayait en réalité de ne pas paniquer. De ne pas non se laisser avaler par cette pression et ces doutes qui peu à peu le gagnaient. Il se sentait écrasé et perdu et n’aimait pas cette sensation. Il avait l’impression d’être piégé dans une boucle qui ne cessait de le renvoyer face aux mêmes problèmes. Peut-être réalisait-il enfin à quel point il avait grandi trop vite, à quel point à trop sauter les étapes il avait fini en marge de tout et des autres surtout. C’était à se demander s’il faisait encore entièrement partie de la société, et les choix qu’ils devaient prendre lui laissaient à chaque fois une vague sensation d’inachevé. Il n’arrivait pas à aller au bout des choses : au bout de ses décisions.

Car il ne savait pas, tout simplement.
N’arrivait tout à fait à accepter qu’il n’était pas normal et qu’il ne pourrait sans doute plus jamais l’être. Qu’en acceptant de rejoindre l’agence qui l’avait repéré dans la rue alors qu’il sortait avec ses amis à la sortie du lycée, il avait accepté de renoncer à une partie énorme de lui.

Taewoon qui n’arrivait pas même à se comprendre parfois, tant sa vie ne faisait aucun sens. Et il avait fui, était parti pour un temps à Busan : avait voyagé et s’était retrouvé en Californie. Il avait été au Japon et avait tant vécu pendant ces deux années de flottement. Il avait continué à composer puis avait aidé à lancer le nouveau groupe de son ancienne agence. Il avait entretenu les bonnes relations tout en maintenant une certaine distance. Et se croyant oublié d’un public pourtant encore présent il avait repris une vie d’homme libre, s’était rendu à l’université et à la salle : avait déambulé les rues de Busan puis de Séoul comme s’il s’agissait là de la chose la plus naturelle à faire.

Il n'avait jamais cessé de se soucier d’un potentiel photographe maisl avait cessé oui de se sentir comme quelqu’un d’important et connu : avait cependant toujours gardé en lui cette peur d’entrainer ses proches dans un quelconque malheur. De créer contre son gré un quiproquo ou de ruiner ce qu’il avait jusqu’alors toujours réussi à préserver. Lui loin des scandales et du bruit, lui droit qui indifférent ne s’était jamais mêlé au côté sombre de l’industrie. Il l'avait subi, cependant. Avec Jaejoo et sa tentative de suicide. Il l'avait subi avec le groupe ne renouvelant pas son contrat et les rêves fracassés de certains membres. Il l'avait subi mais n'avait pas cédé : avait refusé de sombrer.

Parfois il ne savait plus où il en était. Étudiant mais aussi compositeur mais aussi célébrité. Célébrité à la fois connue et oubliée : qui ne se sentait pas lui-même en concerts ou sur le devant de la scène. Il se sentait imposteur et coupable, se sentait tout sauf lui, illégitime. Il l’était, pourtant : mais sans son groupe, sans ses amis et sans tout son passif... Avait-ce encore du sens ? Car il souffrait de l’exposure, souffrait de ce monde qu’il n’arrivait pourtant à fuir. C’était comme si tout ce qu’il avait vécu et traversé avait laissé une trace impossible à enlever. Il s’était retrouvé coincé dans un entre-deux où il n’appartenait plus à aucun des deux mondes. Il n’était plus de ces célébrités affirmées mais n’était pas tout à fait quelqu’un de normal. Et il n’arrivait à se décider, n’arrivait oui à faire s’entendre ses rêves et ses passions. Il n’arrivait à coordonner ses envies. D’un côté il avait envie de jouer, de tenter d’être acteur car les classes l’avaient toujours animé et qu’il s’agissait là de sa mineure. Il avait aussi envie parfois d’accepter certains contrats : aimait son travail actuel à la radio, le soir. Mais de l’autre côté il voulait encore pouvoir vivre librement, aller à la salle voir ses amis et rire. Il voulait oui déambuler dans la rue et être lui-même.

Mais on ne pouvait pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Mais car la vie n’était pas si facile et qu’il devait faire des compromis. Aussi il s’était retrouvé sur scène lors du waterbomb festival, avait été divisé entre une joie étrange et un sentiment de culpabilité certain. A faire quelque chose qui lui ressemblait sans lui ressembler. Et peut-être qu’au fond qu’en rejoignant le monde de l’entertainement une facette de lui était née, qui n’arrivait pourtant à coexister avec tout ce qu’il avait pu être avant. C’était à se demander ce qui lui était passé par la tête pour qu’il accepte d’ainsi ruiner sa vie. A présent il était divisé entre tout ce qu’il avait toujours été et celui qu’il avait été forcé de devenir au gré des années.

Peut-être avait-il juste besoin d’un rappel à la réalité.
Comme ces doigts qu’il avait sentis sur son flanc lorsque le couteau s’était enfoncé en lui. Comme ce regard oui qu’il avait croisé et qui lui avait fait réaliser que la vie non n’était pas simple et qu’elle ne le serait sans doute jamais.

Il n’avait pas bien compris lui qui poussant les portes du studio avait distraitement fait défiler son flux instagram avant de rabattre la page des notifications pour voir si ses crétins favoris lui avaient envoyé des messages. Lui oui qui trop concentré à vivre avait rangé son téléphone, descendant les marches, pour mieux sourire aux quelques personnes rassemblées l’attendant toujours près du bâtiment.  

Puis tout s'était passé très vite.

Sa main s'était posée sur le poignet de l'agresseur qui en proie soudain à la panique avait rétracté avec violence son bras. Il avait regardé le couteau gouttant dans la paume tremblante de l'assaillant et avait baissé ses yeux sur le côté bas droit de son ventre. Des cris s'étaient faits entendre alors qu'effleurant le tissu de son t-shirt, sous son costume, il en avait retiré des doigts rouges de sang.

Il en aurait ri, si une quinte de toux ne l'avait pas pris et que chancelant il n'avait pas basculé en arrière, ses jambes cédant sous lui. Son corps avait heurté le sol et se pliant en deux, la douleur enfin était devenue réelle.

Allait-il mourir ainsi ?
Quelle vie.