Devant ton miroir, t'enchaînes les postures toutes plus ridicules les une que les autres. Te prenant pour Jambes Bond, tu t'amuses de ta tenue bien trop habillée pour tes habitudes. De ce look de riche que t'essaies de te donner pour te fondre dans la masse. T'offrant un rôle, seule Croquette, qui t'observe avec dépit depuis ton lit, est présente pour juger ta comédie.  
Ce soir, tu t'es confié une mission d'agent secret, et tu prends cette tâche bien trop au sérieux. Infiltration dans le casino, tu n'as qu'un seul but, enquêter sur ce décoloré qui t'a volé ton pote. Confirmer les préjugés que tu t'es déjà fais sur lui, que c'est un connard qui va lui briser le coeur, juste pour te prouver raison et satisfaire ton égo. Nino refuse que tu t'en mêles, estime que ce ne sont pas tes affaires. Mais toi, t'es plus têtu qu'une mule. Tu refuses de si facilement laisser tomber. Sans limites, bien décidé à aller probablement beaucoup trop loin...

Le veston ajusté avec confiance, tu quittes ton domicile après avoir accordé un clin d'oeil à ton reflet. Garant la poubelle qui te sert de voiture dans une rue adjacente, afin d'éviter de perdre toute crédibilité auprès des portiers, tu arrives enfin au casino. Lieu de loisirs flamboyants, où l'argent coule à flot. Tu te pavanes comme un habitué, bien que tu n'ai jamais mis les pieds dans un tel endroit. T'as pas le portefeuille pour, et la quantité minable de jetons que tu achètes discrètement le laisse aisément deviner. T'as d'ailleurs mis bien trop de temps à comprendre où les acheter, et t'es toujours pas vraiment certain d'avoir compris leur fonctionnement...
Tu balayes chaque table de jeu avec minutie, scannant l'endroit de tes yeux plissés et concentrés. Tu cherches la chevelure pâle, et ce visage que tu devrais pouvoir reconnaître sans difficultés. T'as baisé son jumeau après tout, c'est resté quelque part dans un coin de ta mémoire. Même si, pour le coup, tu pourrais probablement mieux reconnaître son dos que sa face...
Finalement, tu l'aperçois enfin, ce petit bâtard. Et tu te sens déjà crispé rien qu'à sa vue. Tu le détestes, par simple principe. Dans ton coin, tu grommelles au loin. Alors c'est lui !
Ravalant toutefois ton air grognon, tu t'approches de sa table en adoptant un air indifférent, peut-être un peu exagéré. Le menton relevé, le sourcil haussé, comme si c'était un pré-requis pour passer pour un bourgeois. Cet air hautain surjoué. Balançant ton jeton sur la table, tu évites de croiser son regard, dans ton rôle de dédaigneux friqué. "Je voudrais jouer... S'il vous plait." Tu demandes, n'ayant pas la moindre idée de comment fonctionne en réalité un casino... T'adoptes un ton qui n'est même pas le tien, parlant avec une tentative d'éloquence peu crédible.

Une journée de travail qui s'annonçait être comme toutes les précédentes, se différenciant avec banalité des autres et empreinte d'un ordinaire presque affligeant. Pourtant, la vie trouvait quand même le moyen de lui offrir tous les jours son lot de surprises. Et aujourd'hui n'avait pas échappé à la règle. D'autant plus que la ville accueillait de plus en plus de touristes ces derniers temps, dû à la saison des températures extrêmes et des festivités estivales. Mais il fallait que la malchance joue une carte bien plus coriace encore, pour le plus grand bonheur du russe.

Sa table visiblement en standby, le croupier attendait que plus de monde s'entête à venir s'y asseoir. Mélangeant les cartes d'un geste complètement machinal, Isaak observait les clients rire ou pleurer devant leurs sorts pendant que le personnel se forçait à sourire avant de soupirer lorsqu'ils avaient le dos tourné. Le Petrov avait au moins le mérite de ne pas paraître faux et hypocrite avec sa gueule de déterré. Il se faisait vraiment chier. De temps en temps, il se permettait de reprendre une gorgée de son cocktail bien entamé, l'air toujours aussi blasé. En reposant son verre, il eut la surprise de voir qu'un nouveau client avait décidé de s'installer à sa table. Isaak ne l'avait jamais vu par ici et il fallait dire qu'il ne savait franchement pas quoi penser de lui. Il avait eu l'occasion de voir passer beaucoup de monde devant lui, des riches, des pauvres, mais il avait toujours su été capable de faire la différence. Or, dans ce cas-là, c'était comme si la tenue de l'inconnu ne concordait pas avec son attitude. Bien trop poli pour un orgueilleux, trop bien habillé pour un misérable. Le russe l'accueillit avec un sourire amusé. « Ouais, ouais. Suffit de s'asseoir. » grogna-t-il en désignant un siège libre avant de poser ses yeux sur le jeton. « Vous savez comment jouer, dîtes ? » demanda-t-il, les yeux rivés sur le client tandis que les cartes valsaient de nouveau entre ses mains d'expert. « En général, on préfère garder ses jetons au blackjack. » lança-t-il avec un méprisable rictus au coin des lèvres. Peut-être bien qu'il allait y avoir un peu d'action aujourd'hui.