Il se souvient. Paris se souvient d'une époque heureuse où son père le portait sur ses épaules en lui disant de tendre les bras bien haut pour attraper les étoiles. L'enfant tirait si fort sur ses membres qu'il pleurait ensuite de la douleur, accusant son père de lui mentir. Il ne pouvait pas saisir l'un de ces points scintillants dans le ciel, ils étaient si loin, si haut au-dessus de leur tête. Son père aimait le taquiner, lui raconter des histoires que son fils croyait dur comme fer. Paris explorait le jardin à la recherche des trolls voleurs de chaussettes ou des fées récoltant des baies et chevauchant des bourdons grassouillet. Petit, c'était un gamin crédule et naïf, prêchant la parole de son père comme l'ultime vérité. Les autres avaient tort, les autres étaient des idiots. Personne ne croyait son père, personne ne voulait écouter les belles histoires de cet homme. Seul son fils, sa perle précieuse, était suspendu à ses lèvres. et un jour il ne fut plus là. sa vie a changé dès l'instant où son père l'a quitté, laissant une veuve et un orphelin derrière lui. Son monde s'est assombri, le vent a tourné et soufflé si fort qu'il ne pouvait tenir debout. C'était comme trébucher et se vautrer dans des sables mouvants, aspiré par la pression du sol jusqu'à se noyer et s'étouffer à petit feu. Mourant seconde après seconde, dans un brasier dévorant la moindre âme vivante sur des kilomètres à la ronde. cette perte fut le début de la fin, pour lui et pour sa mère.

Il se souvient. Paris se souvient d'une mère souriante et pleine d'amour, ses bras enlaçant son fils chaleureusement et son esquisse brillante comme le soleil. Sa mère était son havre de paix, le cocon confortable où il aimait se loger et se perdre des heures durant. Il l'aimait tant sa mère, elle lui faisait des pancakes délicieux avec une chantilly au goût de Vanille très prononcée et ses soupes immondes où il y avait plus d'eau que de légume. C'était son point faible, les soupes. La pire chose que Paris est goûté dans sa vie, ça et sa tarte citron trop citronné. Pourtant il finissait son assiette ou son bol à chaque fois en disant que c'était la meilleure cuisinière, parce qu'il l'aimait tellement sa mère qu'il ne voulait pas la rendre malheureuse. et un jour elle s'écroula sous le poids de la tristesse. son mari et le père de Paris se volatilisa du jour au lendemain, abandonnant à sa suite un enfant dans l'incompréhension et une femme dans le désarroi. Une femme qui ne parvient à se relever après la perte de l'homme qu'elle aime, une femme qui a voulu le rejoindre aussitôt, mais une femme qui ne voulait pas abandonner son fils seul dans ce monde de barbares. Paris se souvient des mains de sa mère autour de son cou, dès qu'il ferme les yeux il sent encore la douleur de l'étreinte et le manque d'air, sa vision qui se floute et la panique qui le gagne. Comment peut-il oublier ce cauchemar et vivre sereinement ? L'image de cette femme l'étranglant de ses propres mains le hante à chaque minute de son existence et l'écarte d'une voie saine où il aura pu devenir un bon gars. Un bon petit gars digne d'un héros, au lieu de quoi il est devenu un mécréant de bas étage.

Il aurait voulu se souvenir. Paris aurait voulu une fin heureuse, une famille soudée, des parents toujours présents, mais il ne peut que se souvenir de la mort de son père et du départ de sa mère. Il ne garde en mémoire que la peine et la haine noircissant son coeur, rongeant son âme. Son jeune âge l'a amené chez sa tante, une présence à peine désirée mais dont personne n'avait le choix. C'était ça ou une famille d'accueil, un pensionnat, n'importe quoi pour faire office de logement. Paris a changé, sans son héros de père et son extraordinaire mère, il perdait une partie de son histoire. Il se perdait lui-même. Une douce et agréable descente en enfer ou plus rien n'avait d'importance, où vivre sérieusement était ennuyant et où l'illusion du bonheur suffisait à le faire respirer correctement. L'école est devenue obsolète, inutile et fatigante. Paris s'est tourné vers un métier pour se payer sa nourriture et de quoi vivre indépendamment, puis il s'est lancé dans ce bar en tant que serveur. C'était et c'est toujours sa façon de vivre, de ne pas chuter comme sa mère et devenir fou à la pensée d'être un raté ou d'avoir loupé tout un wagon. Tant que son coeur bat, tant qu'il lui permet encore de tenir debout, Paris tiendra.