Oh, comme il t'aime. Comme il aime ces yeux-là, indifférents et vides, comme il aime enlacer ce corps qui ne frissonnera jamais à son contact.

« Regarde la caméra, mon chéri. » Il relève les yeux, de grands yeux d'enfant. Un peu bougon, comme à son habitude. Depuis ses premiers jours, Moon est un enfant réservé, discret, qui fait toujours une mauvaise tête. Si certains prennent ça comme une provocation ou un manque de respect, sa mère s'inquiète plutôt du désintéressement de son fils pour la vie et les petites choses qui font éclater de rire les enfants, d'ordinaire. Madame Song n'est pas la plus riche des Séoulites, elle pourrait même affirmer sans trop se mouiller qu'elle fait partie des femmes célibataires les plus pauvres de la capitale. Elle vogue, son petit garçon sous le bras, de foyers en foyers. Un jour elle s'improvise femme de ménage, le lendemain elle tient la main d'un riche homme d'affaires - sans lâcher celle de son petit bout de chou, qui la suit sans sourciller, sans poser de questions. Moon est si sage, qu'elle se demande s'il a vraiment six ans à peine. « Ne bouge plus. » Le clic significatif de l'appareil photo lui arrache un sourire, un sourire un peu triste. Moon a hérité des traits fins de sa mère, elle est fière en observant le petit visage de poupée de son fils, ses grands yeux sombres, si profonds mais si brillants. Peut-être qu'elle n'a pas besoin de toute la richesse du monde, tant que son enfant est près d'elle et qu'il va bien.

Madame Song rend son dernier soupir le 30 septembre 2011. Il n'y a pas grand-chose à dire : elle était malade depuis des années, la menant à une mort prématurée. Elle laisse un enfant de 12 ans derrière elle - et rapidement, Moon vient emménager chez des membres éloignés de sa famille, dans la campagne sud-coréenne. Le plus étrange, pour lui, ce n'était pas de perdre sa mère (tout aussi cruel que cette idée soit), mais bien le fait de pouvoir enfin emménager quelque part, sans devoir s'en aller quelques jours plus tard. Les lits d'hôtel, allongé en boule contre sa mère, ça lui manque un petit peu. L'activité folle de Séoul, et les gens qui passent près d'eux, eux qui se tiennent la main. Peut-être bien que les choses étaient plus simples avant. Il fait l'école à la maison, parce que les collèges avoisinants sont trop loin pour qu'il fasse le trajet tous les matins et tous les soirs. Il aide à la ferme. Se lie d'amitié avec les autres enfants du coin. Des choses comme ça, on pense à lui "remonter le moral", et de temps à autres il a une discussion pleine d'esprit avec son oncle, le soir.

« Parfois, je te regarde et je me demande ce que j'ai fais pour mériter de t'avoir dans mes bras. » Il relève les yeux, observe son petit-ami qui le regarde avec un sourire attendri. Ils sont lovés l'un contre l'autre sous les draps, s'enlacent loin de la fureur du monde et de sa cruauté. Il n'y a plus rien sinon eux et le silence. Il le regarde, caresse sa joue et ses yeux pétillent, mais dans le coeur de Moon Han il n'y a rien. Pas la moindre étincelle, pas la moindre once de joie - pire! pas la moindre once d'amour. Il n'y a rien, Moon, rien du tout. Le vide, le néant. Il ne se souvient même plus du jour où ils se sont rencontrés, il ne se souvient plus des premiers mots qu'il lui a prononcé. Il ne sait pas pourquoi ils sont ensembles.

Quelques jours plus tard, l'autre homme mettra un genou à terre devant lui, en lui adressant ce grand sourire qui est devenu sa marque de fabrique. Peut-être qu'à ce moment-là, comme à beaucoup d'autres instants de sa vie, Moon aurait pu l'envoyer balader et recommencer une vie qui lui aurait plus correspondu, qui lui aurait plu. Mais non, il n'a pas la force de se battre. La seule fois où il a eu la force de faire quelque chose qui lui plaisait, c'était de quitter sa campagne pour retourner à Séoul et s'installer là-bas. Désormais... il errait sans but, s'accrochant mollement à cet homme pour survivre. Alors il dit oui. Il accepte, il se pousse même à esquisser un sourire fait de plastique et de pure fausseté ; mais le plus vieux considère ça comme un signe de son amour véritable et l'enlace tendrement contre lui. Il se délecte un peu de sa chaleur, lui qui est si froid.