La route défile à travers la nuit sombre. Encore un peu… Et elle se prendrait pour l’héroine du dernier film d’horreur sorti sur Netflix. Pour autant, Momo n’a pas peur. Momo au final… n’a plus peur de rien. Pas même d’affronter ses anciens amis, qui ne seront certainement pas heureux de la revoir sans prévenir. Peu importe. Elle n’en a rien à faire de ce que Sissi, Junho ou Max puissent penser. Après tout… ces derniers l’avaient tout autant abandonné que Jisoo, pas vrai ? Du jour au lendemain, à partir du moment où Erin avait été présentée comme la nouvelle petite amie parfaite… Tous s’étaient mis sur silence radio. Mais pour le moment, l’heure n’était pas au règlement de compte. La japonaise ne savait même pas pourquoi elle faisait l’effort d’y aller au final. Accaparer encore plus Jisoo ? Enfoncer encore plus Erin ? Certainement un peu des deux. Seulement d’une façon ou d’une autre… La satisfaction restait tiède. Malgré toutes ses victoires, malgré le fait d’avoir su se venger à la perfection, d’avoir enfin ce qu’elle voulait…

Momo se sentait toujours aussi éteinte.

Comme prévu, l’accueil n’est pas des plus chaleureux lorsqu’elle arrive sur le lieu du crime. Et tandis qu’elle observe les visages de Junho et Max complètement abasourdis, c’est la reine de la soirée qui vient la souhaiter la bienvenue. « Qu’est-ce-tu fous ici, toi ?? » Demande une Sissi éméchée, serrant la mâchoire comme un chien enragé. Momo est obligé un instant de la retenir pour qu'elle ne tombe pas mais la Kwon repousse aussitôt sa main, comme dégoutée du geste… préférant mille fois se faire aider par Jeha, que la japonaise reconnaît rapidement. « Joyeux anniversaire Sissi. Désolée de débarquer comme ça sans être invitée mais… Jisoo m’a téléphoné. Apparemment, il ne va pas très bien. » Explique simplement Momo d’une voix calme et avec un visage soucieux, préférant montrer patte blanche pour le coup. Bien que forte et extrême… elle n’a pas envie d’affronter toute la bande entière. « Et ça t’étonne ? » Rétorque Sissi en riant amèrement « D’une façon ou d’une autre, on sait tous ici que tu y es pour quelque chose ! Avoue-le au moins ! » Jeha doit l’empêcher d’aller sur la nipponne qui recule alors d’un pas, sans paraître pour autant effrayée. Momo ne répond rien à cela. Elle ne confirme pas… mais elle ne nie pas pour autant. Après tout, que peuvent-ils penser d’elle maintenant ? Elle peut être très bien passer pour la fille encore amoureuse de son ex, qui n’arrive pas à tourner la page. Et malgré leurs souhaits… Peut être que Jisoo non plus, finalement, ne parvient pas à totalement l’oublier. N'est-ce-pas le scénario parfait ? « Je ne cherche pas d’histoire. » Assure-t-elle en venant observer Juhno et Max, qui malgré leurs désarrois, semble plus calmes que la cousine. « Où est-il ? » Personne ne répond. Du moins, jusqu’à ce que celle qui semble être la petite amie du géant daigne enfin l’éclairer. Elle lui indique la direction à prendre, malgré le mauvais regard que lui lance Sissi. Après s’être inclinée pour la remercier, la japonaise revient observer tous les autres. Le silence se fait lourd. Pesant. « Contrairement à ce que vous pouvez penser… je tiens énormément à lui. » Murmure-t-elle en les regardant tous droit dans les yeux, à tour de rôle. Et tandis qu’elle finit par leur tourner le dos pour rejoindre Jisoo, la voix de Max se fait soudainement entendre. « Est-ce-que c’est avec toi qu’il sort ?? » Questionne-t-elle, craintivement... Serrant les doigts de Junho entre les siens pour se donner du courage. Le corps de Momo s’arrête et ne bouge plus. « Jisoo… est-ce-que vous sortez de nouveau ensemble ? C’est toi… sa nouvelle petite amie ? » Demande de nouveau la byun, sans que la japonaise n'ait la moindre réaction. Son visage se tourne à peine, sans pour autant se laisser voir. Elle ne répond pas. Pourquoi le faire ? Ils venaient enfin de comprendre.

Elle finit par retrouver celui qui avait demandé sa présence ici ce soir. Allongé dans le sable avec les mêmes vêtements de la veille. Seul. Misérable. Elle pouffe en le voyant scruter le ciel à travers un regard vide. « Il n'a pas d'étoiles. Tu attends quoi au juste, une réponse divine ?» Susurre-t-elle en scrutant à son tour le noir du ciel, un brin moqueuse. Sauf que ça n'a pas l'air de le faire vraiment réagir. Comme toujours depuis des semaines, Jisoo reste un vrai zombie. Soupirant devant un tel spectacle, Momo croise les bras et observe finalement la mer. « Elle n’est pas là. » Signale-t-elle simplement, finissant par se demander si ce n’était pas une ruse du kwon pour la faire venir ici malgré tout. Son regard revient le scruter malgré l’obscurité. « Ça va ? » Demande-t-elle tout de même, d’une voix lointaine et effacée. Un peu vide, elle aussi.

Peut-être a-t-il fait une erreur… mais il ne parvient pas à regretter. Non, à la place, il compte les minutes qui séparent son appel de l’arrivée de Momo, assis sur le sable chaud, à tenter de se calmer avec le bruit des vagues. Au bout d’un long moment, il finit même par s’y allonger tout entier. Un des moments les plus importants des débuts de leur relation, à lui et Erin, s’était déroulé sur une plage. Tout ça lui semble tellement loin, à présent. Et il ferme les yeux pour se reposer, tenter de ne pas écouter les gens qui continuent de s’amuser, plus loin. Comment parviennent-ils à rire ? A ce moment là, il hait l’intégralité de la gente humaine. Chaque exclamation lui donne des envies de meurtre. Il ne parvient pas à s’endormir. Le temps lui semble s’étendre à l’infini, mais heureusement, au fur et à mesure, la foule finit par s’en aller ou partir se coucher. Le silence prend, petit à petit, la plage, et Jisoo peut enfin souffler. Pourquoi, alors, est-ce que cette pression dans sa poitrine ne part pas ? Pourquoi est-ce qu’il se sent tout aussi suffoqué ?

Il cherche quelque chose dans le ciel, mais les nuages et les lumières cachent une quelconque étoile. Si fatigué, il ne se rend même pas compte que Momo est arrivée à ses côtés, et ne sursaute que lorsqu’elle élève la voix. Son regard se pose sur sa figure, et il se hait de ce foutu soulagement qui vient prendre chaque partie de son corps. Momo reste debout, et il l’observe un moment sans rien dire, avant d’expliquer. “Elle est rentrée avec son copain il y a un moment. Elle n’est pas ressortie” lance-t-il sans détourner le regard de la silhouette de Momo. Au lieu de répondre à son “ça va ?”, Jisoo redresse le bras pour attraper un pan de sa robe et la tirer légèrement, pour l’inviter à venir avec lui dans le sable. Il a envie de la sentir à ses côtés. “Tu as fait vite” souffle-t-il, en tentant d’évaluer le temps qui s’est écoulé depuis leur appel. Et puis, il retombe dans le silence.

Est-ce que tout n’est pas une boucle ? n’est-il pas retourné à son point de départ ? Non… si c’était vraiment le cas, alors il l’aurait déjà attirée à lui, aurait déjà pressé ses lèvres contre les siennes, surplombant son corps au dessus du sable. Ce n’est pas qu’il n’en a pas envie. Mais Momo lui a très bien fait comprendre à quel point elle est dégoûtée par lui, alors à quoi bon ? Il n’a pas la force d’être rejeté à nouveau.

« Son copain tu dis ? » Questionne-t-elle en redressant ses sourcils, feignant d’être étonnée. Eh bien, eh bien… Finalement, Ren avait su faire avancer les choses. Devrait-elle d’ailleurs envoyer un message à ce dernier pour le prévenir de sa présence ici ? Non. Trop dangereux. Et puis, d’une certaine façon… n’est-ce-pas plus amusant ainsi ? Autant se divertir un peu. Et si Jisoo ne prend pas la peine de répondre à son « ça va », il vient malgré tout la chercher en silence. En le voyant tirer sur sa robe, la japonaise grimace un peu, pas spécialement ravie qu’on touche ainsi à ses précieux habits. Elle s’exécute malgré tout, résignée à être ce soir la « bonne amie ». La « confidente » aussi peut être. Peut être qu’elle le fait pour mieux le faire couler, peut être qu’elle le fait par pitié. Peut être aussi… que Momo cède un peu, parce qu’elle n’a pas toujours la force de se montrer cruelle, malgré la rancœur. D’une façon ou d’une autre, tous deux se rejoignent toujours. Et elle, tout comme lui… est particulièrement épuisée ce soir. Particulièrement pathétique aussi.

Effectivement, cela semble être une boucle. Une boucle sans fin, celle des amants maudits. En jouant les vengeresses, elle a perdu le peu d’espoir que la vie voulait bien encore lui accorder. Elle a mis le seul homme sur cette terre encore capable de la sauver aux oubliettes, quitte à le blesser lui aussi. Peut être que c’est ça, leur destin. Souffrir ensemble. Souffrir jusqu’à leur dernier souffle. Est-ce-que Sung Jae pensera quand même à elle, malgré la colère ? Ne souhaitant pas y penser, Momo finit par secouer doucement la tête. « Tu comprends maintenant ? » Demande-t-elle, d’une voix malgré tout attristée. « Les gens bons et honnêtes doivent aller ensemble. Et ceux qui font du mal doivent rester à l’écart. » Son regard observe les vagues, absent et éteint. Tout en repliant ses jambes contre elle, la japonaise soupire. « Est-ce-que nous aussi... on devrait rentrer et se coucher comme eux ? » Propose-t-elle contre toute attente, prête à jouer le jeu ce soir avec lui. « Ou peut être qu’on devrait en finir avec nos vies dès maintenant... Peut être qu’on devrait se laisser couler au fond l’océan… » Ajoute-t-elle en venant l’observer droit dans les yeux, aussi grave que fatiguée. Peut être qu’il la voit enfin, sa détresse. Elle ne sait même pas pourquoi, une sorte de mélancolie la prend. Oui. Surement que pendant un instant, la culpabilité la ronge. Surement qu’elle a envie de se faire pardonner, même si ça ne suffira pas. Surement aussi que… malgré tout ce qu’elle peut montrer, malgré sa force et son pouvoir, elle aussi est comme une droguée en manque lorsque Jisoo est loin d’elle. Peut être qu’elle aussi se sent seule. « C’est toi qui choisis. » Achève-t-elle finalement, en prenant sur elle pour frôler ses doigts avec les siens. Et contre toute attente, ce soir…

Momo ne ressent pas forcément que du dégout à l'égard de Kwon Jisoo...

Ce soir, Momo semble baisser un peu ses gardes. Il la remercie silencieusement d’être là pour lui, et de ne pas enfoncer le couteau dans la plaie, comme elle a l’habitude de le faire. Une vague de sentiments finit par venir se bousculer en lui. Il a mal. Envie de pleurer. De crier. Et pourtant, tout ça est invisible derrière son regard à l’apparence vide. Il l’écoute parler sans rien dire. C’est douloureux. Encore plus de se rendre compte à quel point il lui suffit de rien, pour basculer entièrement. Il ne se reconnaît pas. Toute cette situation lui semble d’une ironie certaine, dont Momo, vu ce qu’elle est en train de lui déclamer, semble, elle aussi, en saisir toutes les nuances.

Il ne répond rien à chacune de ses phrases. Il présente aussi peu de réaction à l’évocation du lit, que du suicide que lui déclame Momo. N’ont-ils pas toujours été particulièrement doués, pour se lancer des phrases si déprimantes avec autant de facilité ? C’est parce qu’ils se comprennent. Ils se retrouvent dans leur noirceur, et dans les parties les plus inavouables de leur être. Viciés, l’un et l’autre, comment pourraient-ils alors se juger ? Peut-être est-ce pour ça qu’il se sent autant à sa place avec Momo. Erin… Erin a toujours été au dessus de lui. Quelqu’un qu’il ne méritait pas. Il n’a jamais compris pourquoi elle était tombée amoureuse de lui. Et au moins, aux côtés de Momo, il n’a même pas besoin de se poser ces questions. Tout semble plus simple. Il retrouve les bonnes vieilles habitudes.

Il frissonne en sentant les doigts de Momo frôler les siens. “Nous sommes déjà morts, non ?” finit-il par lancer en laissant un rire triste lui échapper. C’est ainsi qu’il le voit. Momo et lui, éternellement coincés entre deux mondes. Ils le méritent. Au moins, ils n’auront jamais la paix qui vient avec le fait d’être dans un monde qui nous convient. Ils n’ont pas de place, sauf dans les miroirs de leurs péchés.

Il finit par attraper ces foutus doigts, les presser entre les siens. Tout en lui craque. Jisoo a l’impression que tous les derniers mois n’ont été qu’un rêve qui avait fini par lui sembler la réalité. Et il se réveille. C’est plus facile, de se dire ça : que tout ça était faux. Qu’il s’est égaré. Qu’à ce moment présent, là, il est là où il devrait être, et nulle part ailleurs.

Jisoo a l’impression de se noyer. ça, ces malheureux doigts, sa présence, ce n’est pas assez. Il comprend lui même à demi ses actions, a l’impression de n’avoir que peu de pouvoir sur ses décisions. Il pousse Momo contre le sable et vient la surplomber, plongeant son regard meurtri dans le sien. “je te déteste” finit-il par chuchoter, comme il l’a fait des centaines de fois auparavant. Avec affection et détresse. “est-ce que tu crois… que ce sera toujours comme ça ?” lui lance-t-il d’une voix brisée, remontant ses doigts pour s’accrocher à son bras. “est-ce qu’on sombrera toujours ?” ajoute-t-il, pour s’expliquer, avant d’achever “et est-ce qu’on sera toujours ensemble, dans les tréfonds ?”

Non. Contre toute attente… Ce soir, il ne la dégoute pas. Ce soir, le contact ne semble pas être quelque chose d’aussi inenvisageable que ça. Peut être que c’est à cause de cette sensation bien trop connue de déjà vu, de cette boucle qui se répète inlassablement à l’infini. Jumeaux maudits. Effet miroir. Tout en lui résonne en elle et a l’effet d’un boomerang. Peut être est-ce aussi parce qu’elle ne s’est jamais sentie aussi éteinte de toute sa vie, aussi vidée de l’intérieur. Déjà morts ? En entendant cela, Momo ne peut que sourire en silence. Sourire fragilement. Tristement. L’amertume est telle qu’elle aurait presque envie de la savourer à sa juste valeur. Oui… Probablement que Jisoo a raison. Peut être bien qu’ils sont morts depuis longtemps. Morts et putrides. Morts et pourris jusqu’à la moelle. Même les vers ne voudraient pas de leurs corps. Seuls les actes du passé et les actions d’aujourd’hui suffissent à les désintégrer, à provoquer cette gangrène accélérée qui s’attaque en tout premier à ce qui leur sert de cœur. Il est cruel. Elle est cruelle. Ça ne va pas plus loin. Il n’y a pas plus de raisons à apporter. Absolument rien à justifier.

Elle ne sursaute même pas lorsqu’il vient la pousser sur le table. Ne tique pas non plus en sentant son corps surplomber le sien. Oui… Du déjà-vu. Et éternel et perpétuel rendez-vous. Un destin funeste qui n’est réservé qu’à eux. Et maintenant ? Que vont-ils faire ? Va-t-il faire l’immense bêtise de l’embrasser ? Va-t-elle l'énorme erreur de répondre à chaque baiser violent et désespéré qu’il lui offrira ? Vont-ils se retrouver comme avant et se haïr d’une façon qu’ils connaissent que trop bien ? Chacun semble connaître la finalité des choses à l’avance. Probablement qu’ils coucheront ensemble. Qu’ils se tueront ensemble jusqu’à leur dernier souffle. Et ensuite… Ensuite… Ils seront plus malheureux que jamais, anéantis par leur actes et par l’odeur de l’autre. « Je sais. » Répond simplement Momo en le regardant dans les yeux, lorsqu’il assure la détester. Cette fois, elle accueille sa haine comme une vieille amie. Étonnement, elle ne rejette pas non plus la teinte d’affection qui s’y cache.

Devant sa question, son visage se secoue doucement. Toujours ensemble… ? Non. Impossible. Même ça, ils n’y ont pas droit. Ils pourriront en enfer chacun de leur coté. Sans bouger d’une pouce pour le moment, Momo se contente de répondre dans un murmure « Tu n’aurais jamais dû partir Jisoo. Si tu étais resté alors oui… Certainement qu’on aurait pu. On aurait même pu continuer cette comédie. Continuer de faire semblant d’être heureux, comme au Japon. » Malgré elle, ses yeux brillent. A travers toute la haine et la rancœur qu’elle ressent à son égard… La peine vient dominer à cet instant les cicatrices qu’il lui a faites. « Mais tu t’es enfui. Tu as flanché. Tu as préféré aller voir si l’herbe n'était pas plus verte ailleurs. » Ajoute-t-elle d’un ton aussi doucereux que tremblotant. Sa  gorge la brule. Et pourtant, elle le dit. Elle le clame haut et fort. « ... Traitre. » Son regard est aussi noir qu’accablé. Elle n’attend pas sa réponse. A son tour, c’est elle qui vient le surplomber. Elle qui vient prendre tout son pouvoir. Ses deux mains viennent chercher les siennes tout en les plaquant à même le sable, comme une lionne emprisonne sa proie entre ses griffes. Et tandis que son visage se rapproche dangereusement du sien, elle se perd dans son regard. « Si tu ne veux pas te noyer avec moi… Alors je me noierai seule. » Annonce-t-elle tout bas, lui faisant comprendre que pour elle, ce serait la finalité. Peut être que c’est un appel au secours. Peut être qu’elle est désespérée. Mais cela fait des mois qu’elle y pense. Des semaines qu’elle s'y prépare. « Alors… pour le peu de temps qu’il me reste encore hors de l'eau… »  Ses lèvres s’arrêtent juste avant de frôler les siennes, laissant son souffle rencontrer chaudement le sien. Le souffle de la mort. Le baiser mortel. « Tu peux faire de moi ce que tu veux. » Chuchote-t-elle d’une voix à peine audible, avant de se redresser, restant tout de même à califourchon sur lui.

Il accueille ses mots, sans déception. Elle a raison. Que pourrait-il bien répondre à ça ? Il n’écoute pas tant ce qu’elle dit, mais ce qu’elle lui montre. Quand a-t-il eu l’occasion de voir Momo comme ça ? Vulnérable ? Sensible ? Brisée ? L’affection qu’il a toujours ressenti à son égard ne manque pas de revenir. Elle est comme lui. Dans la même situation qu’elle, sûrement aurait-il été tout aussi affreux. Peut-il la juger ? Il n’a pas honte à être appelé traître. Dans un autre contexte, il aurait ri et l’aurait remercié du compliment. Toutes ces choses là… n’ont au final, pas vraiment de poids, si ? Il se sent étonnamment détaché du monde et de ses implications. Il imagine tout un tas de scènes, impliquant Momo, impliquant Erin, n’impliquant personne d’autre que lui même, et s’étonne tout autant d’à quel point il ressent de l’apathie envers chacune des finalités. Il suppose que le poison s’est infiltré jusqu’à remplacer intégralement tout ce qu’il lui restait de sang humain. Bravo, Momo. Je suis à toi.

Il se laisse faire. Son regard se pose sur la silhouette qui le surplombe sans grand affect. Ne vient-elle pas de dire qu’il l’avait trahi ? Il se serait attendu à ce qu’elle reparte d’où elle est venue. Ou qu’elle lui fasse une leçon à la Choi. Au lieu de ça, elle se rapproche. Leurs souffles se rencontrent. Son ventre brûle. Alors même qu’elle lui raconte des histoires morbides, qu’elle est en train de lui expliquer qu’elle ne compte pas rester en vie plus longtemps, l’attrait de la chair prend le dessus sur toute inquiétude qu’il aurait pu ressentir à son égard. Lorsqu’il avait failli mourir… Momo n’avait même pas pris la peine de le visiter à l’hôpital.

Lorsque leurs lèvres se frôlent, il soupire, ferme les paupières. Il la sent se redresser mais reste dans cette position encore un peu. Son coeur bat à tout rompre. En est-il vraiment capable ? Pourrait-il réellement embrasser cette femme, comme il embrassait Erin ? Pourrait-il tenir son corps contre le sien, comme autrefois ? Il n’en sait rien. Tout est trouble. Déchirant. Et un instant, il s’imagine fuir, dire à Momo que tout ça est fini, que ce ne sont que des illusions, des belles histoires qu’ils se racontent. L’image, pourtant, de ce baiser partagé entre Ren et Erin, un peu plus tôt, vient s’imprimer derrière ses rétines. “Ce que je veux ?...” répète-t-il, avant de se redresser, pour qu’ils soient assis l’un sur l’autre. Son souffle effréné vient s’échouer contre les lèvres de Momo, et il passe ses bras puissant autour de sa taille pour l’amener contre lui. Contre son torse, il peut sentir la courbe de sa poitrine, sa chaleur. Son nez, venant frôler son épaule, s’emplit d’odeurs d’autrefois. Il lui semble revenu une année plus tôt. Tu m’as manqué ne peut-il s’empêcher de penser, sans oser pourtant le dire à voix haute. “Tu es ma copine. Mon amante. Ma jumelle. Mon miroir. Tout ce que je veux, c’est que tu sois à moi, et que tu ne me quitte pas” lui déclare-t-il en enfonçant ses doigts contre son dos. Puis, il se relève sans la lâcher, avant de la déposer sur ses pieds. “Trouvons une chambre.” déclare-t-il en attrapant sa main pour entrelacer ses doigts aux siens, commençant à marcher dans le sable pour remonter jusqu’à la maison.

Il ne comprend pas. Vraiment… Rien du tout. Tout semble lui échapper. Tout semble être pris avec une légèreté déconcertante. Réalise-t-il seulement ce qu’elle est entrain de lui dire où est-il définitivement perdu ? Elle veut mourir. Elle va mourir. Elle va se donner dans la mort et lorsque ce sera le cas… Il n’aura plus que ses yeux pour pleurer. Malgré elle, ça la blesse. Ça la blesse plus que de raisons… de voir qu’encore une fois, personne ne l’entend. Qu’encore une fois, il ne prend pas sa détresse au sérieux. Cela lui donne un gout beaucoup trop amer dans la bouche. A quoi joue-t-elle en se montrant aussi douce avec lui, si soudainement ? Jisoo ne fait que lui prouver qu’encore une fois… il ne mérite rien de bon en elle. Encore une fois… Il ne mérite rien de plus que de souffrir jusqu’au supplice. Peut être qu’au final, elle l’aurait prise… cette foutue main qu’il aurait du lui tendre. Peut être que pour une fois, elle aurait aimé qu’on la rassure, qu’on lui dise que tout aller s’arranger. Pourquoi diable n’était-il pas capable de faire ça ? Juste ça… ?

Lorsqu’il vient se redresser pour se coller à elle, la nausée la prend. Elle a envie qu’il se détache, qu’il la lâche. Il cède. Il cède comme un stupide animal. Comme un chien qui revient joyeusement comme un idiot, après s’être fait battre à mort. Son souffle, son odeur, ses bras… Tout ce qui fait partie de lui donne envie à Momo d’hurler. Elle ne dit pourtant rien. Elle joue encore le jeu. Sa copine… ? Son amante ? N’était-ce-pas Erin, il y a encore quelques heures ? Quel misérable… Obligé de se raccrocher à ce qu’il peut, par peur de sombrer encore plus. Lorsqu’il lui indique son envie de se trouver une chambre, elle ne répond rien et s’exécute. Elle garde ses doigts entre les siens simplement pour montrer aux autres leur mensonge. Sans un mot, ils passent devant la bande. Max. Junho. Sissi et tous les autres. Tous voient l’invraisemblable. Tous voient Kwon Jisoo et Choi Momo, main dans la main, de nouveau ensemble.

Ils entrent dans la première chambre qu’ils trouvent encore libre à l’étage. Avant même que Jisoo ne fasse le moindre geste, Momo s’écarte violemment. Momo le tue d’un regard accablé. « Ai-je véritablement fait de toi un monstre… ? Ou l'étais-tu déjà avant même ta naissance ? » Questionne-t-elle, le cœur plus lourd que jamais. Ses poings se serrent, fragilement. « Je te dis que je vais me foutre en l’air… Et c’est tout ce que ça te fait ? Et si c’était elle, hein ? Si c’était elle qui te disait ça, est-ce-que tu aurais la même réaction ? » Il n’a même pas besoin de répondre. Tous deux connaissent déjà la réponse. Ils savent que non. Non et non. Jamais il ne laisserait Erin se faire mal à ce point, jamais il ne la laisserait en détresse. Et ça… ça la tue. Ça la bouffe de l’intérieur. « Ton miroir et ta jumelle… oui, sûrement. Mais jamais je ne serai ta copine et ton amante. Jamais. Tu sais pourquoi ? » Sans qu’il ne s’y attende, elle sort son téléphone pour lui montrer une photo d’elle et Sung Jae, prise en Thaïlande. « Parce que je suis à lui. Et quoi qu’il arrive, je resterai toujours qu’à lui… même si je dois en finir avec ma vie demain. Je suis SA copine. SON amante. » Malgré elle, ses yeux s’embrument de larmes. Il lui manque. Sung Jae lui manque. Tellement. « Il suffit de leur faire croire qu’on est ensemble, non ? Demain, elle le verra. Demain, je te promet qu’elle souffrira comme tu le souhaites. Maintenant dormons. Et ne me touche pas. » Ordonne enfin Momo en ouvrant le lit qu'ils vont partager, résignée à ne pas se laisser déborder. Que Jisoo se rassure. Elle aussi le déteste. Elle le déteste comme jamais.

Trois minutes de répit. Le temps qu’ils montent jusqu’à la chambre, que la porte se referme derrière lui. Puis c’est la fin.

Momo est redevenue Momo. La Momo qu’elle a toujours été à son égard. La Momo qu’elle est, il suppose, mais qu’il ne cesse d’oublier, quand ça l’arrange. Parce que c’est plus facile. Parce qu’il est trop seul, et que s’accrocher à n’importe quoi, même une femme pour qui vous êtes répugnant, est mieux que de se perdre dans le noir à nouveau.

La tension monte dans son ventre, au moment même où elle s’écarte de lui. Les mots de Momo se mêlent, frappent sa poitrine, son ventre, chaque petite partie de son corps jusqu’à ce que l’entiéreté de son être se torde de douleur. Et pourtant il reste debout. Debout, sans aucune expression, sans même l’ombre d’une vie au creux du regard. Il se sent sombrer. Il n’a même pas ça. Il n’a même pas ça

Il ne prête aucune attention à Momo. Les larmes s’amoncèlent dans ses yeux et finissent par dévaler le long de ses joues, sans qu’il ne fasse encore aucun geste, sans qu’aucune expression pourtant ne torde son visage. Ces foutues gouttes d’eau, uniques témoins de sa peine. De sa mort intérieure. Momo l’a poussé de la falaise, et a pris garde qu’il s’en casse le cou à l’atterrissage.

Alors que Momo ouvre les draps, Jisoo se retourne. Il sort de la chambre et ferme la porte derrière lui, laissant échapper, pour la première fois, un sanglot bruyant. Redressant son bras jusqu’à sa bouche, il se mord le bras pour tenter d’étouffer ces sons gênants, pour arrêter d’être aussi faible. Pathétique. Dégoûtant. Il lui semble sentir sur l’intégralité de sa peau la façon dont Momo le voit. Sa vision est la sienne. Comment fait-il pour vivre ? Elle a raison. Il est un monstre.

Il dévale les escaliers. Sur le meuble de l’entrée, de nombreux invités ont posé leurs clefs pour les retrouver en partant. Il attrape un jeu au hasard et sort de la maison. Le feu dans la poitrine. L’impression de suffoquer. D’être en train de prendre les dernières maigres respirations de sa triste vie.

Que fait Erin à cet instant là ? Est-elle avec lui ? Mais la rage n’est pas là. Non. A ce moment là… il semble résigné. Sûr. Si ce Ren peut la rendre heureuse… alors qu’il le fasse. Il a été idiot. Cruel. Mais il n’en doute pas de ça. De son amour pour elle. Et même s’il ne sait pas quels seront ses agissements dans les prochaines minutes, il se sait au moins sûr de vouloir le meilleur pour elle. De toute évidence, il ne peut pas s’empêcher de la faire souffrir à chaque fois qu’il est présent. Alors à quoi bon rester ?

Il appuie sur le bouton. S’acharne sur le bouton de cette clé automatique jusqu’à ce que des phares s’allument. Il suppose que ce qu’il est en train de faire est du vol… mais tant pis. Il entre et se met derrière le volant. Et de longues minutes, il y appuie le visage, laisse toutes ses maigres larmes y tomber, jusqu’à tousser pour reprendre sa respiration.

Il tourne la clé, allume le moteur, et se met en route. Le portable qui est encore dans sa poche, il le jette par la fenêtre sur la route. Et il dit au revoir.

Au revoir Erin. Je t’aime tellement. Je suis désolé.