Le divorce. Il semblait évident que ses parents allaient se séparer. Ils ne faisaient que se disputer. A longueur de journée, et depuis trop longtemps. Sa sœur essayait de le protéger de toute cette tension, mais ce n’était pas suffisant. La séparation avait été un soulagement. Le départ un peu moins. Elle avait dix-huit ans, elle avait le choix de suivre leur père, alors, il était parti aussi. Los Angeles. Une maison au bord de la mer. Il s’était senti coupable d’avoir abandonné sa mère, mais il avait choisi ce qu’il y avait de mieux pour lui. Un nouveau départ. Nouveau lycée, nouvelle vie, nouveaux amis. Et même une petite amie. Vraiment jolie. Alison. Ce n’était pas la plus populaire, mais elle était intelligente et elle correspondait à tout ce qu’il aimait. Swann était heureux. Et ça faisait du bien. Plus le temps passait et plus il se sentait épanoui. Jusqu’à Damian.

Damian, c’était le petit ami de sa sœur, un peu plus âgé. Il l’avait détesté. Parce qu’il l’avait trouvé extrêmement beau. Bien plus qu’Alison et ça n’avait aucun sens. Il était intéressant, patient, drôle. Monsieur parfait. Il ne comprenait pas d’où venait cette attirance. Il ne l’assumait pas. Parce qu’il n’aimait pas les hommes. Swann restait distant, sec, et préférait fuir la maison quand il s’y trouvait. Et plus les mois avançaient et plus il s’attachait. C’était contre toute logique. Il était amoureux de lui. Il en était fou. Complètement malade. C’était gravé dans sa chair. Irrévocable. Irrémédiable. Définitif et sans appel. Il n’avait pas le droit. Ce n’était pas bien. Et pourtant. Il y avait eu un baiser. Sur la plage. Quand ses lèvres avaient touché les siennes, le monde avait cessé de tourner. A cet instant précis, il avait compris. Qu’il devait tout arrêter.


Damian n’était plus qu’un petit ami. Il était un fiancé. Swann avait supplié son père de le laisser s’engager dans l’armée. Il n’avait que dix-sept ans. Un appel à l’aide, un besoin vital de s’éloigner. Il avait cédé. Pour son bien-être, parce qu’il avait ressenti sa détresse. Et il n’avait demandé aucune explication. L’armée. Une nouvelle famille. Des frères d’armes. Il se sentait à sa place. Il aimait l’ordre, le sport, l’esprit d’équipe et tout ce qu’il pouvait apporter aux autres. Il rentrait le moins possible à la maison, parce qu’il avait peur. Peur de ne pas pouvoir résister à nouveau à ses beaux yeux. Il avait tout quitté. Alison aussi. Il avait besoin d’un nouveau but. Il l’avait trouvé. Swan avait attendu patiemment plus de deux ans pour demander son affectation dans une équipe de démineurs. L’adrénaline, il en était devenu accro. Sa mission en Afghanistan lui avait permis d’éviter le mariage de sa sœur. Mais elle était aussi la dernière.

Il avait entendu un bruit sourd avant d’être ébloui et projeter à plus d’une centaine de mètres. Swann se souvenait simplement de l’odeur de la fumée, de la douleur dans sa jambe. Et il s’était réveillé. Un peu secoué. Il était en vie. Mais sa jambe droite. Il en manquait la moitié, au-dessus de son genou. Il avait vomi la première fois. Et puis il avait été renvoyé chez lui. A l’hôpital. Où il avait dû réapprendre à vivre. Il n’avait pas pleuré. Pas au début. Encore en état de choc. Il y avait eu la cicatrisation. Il n’était pas sorti de la maison. Et il ne voulait voir personne. Il avait repoussé sa soeur, Damian, et tous ses amis. Il se dégoûtait, ne supportait pas la vision de son corps abimé. La perte de ses camarades. Toutes les nuits il se réveillait, hurlant sans pouvoir s’arrêter. Il entendait l’explosion. A chaque fois. Et il avait fini par s’ouvrir les veines.


De retour à l’hôpital. Il n’en n’était pas sorti avant plusieurs semaines à parler avec un psychologue. Et puis, il y avait eu la prothèse. Il avait laissé tomber le fauteuil roulant et c’était un soulagement. Swann avait réapprit à marcher. C’était difficile, douloureux, mais il avait décidé de se battre. Jusqu’à pouvoir remarcher. Il avait oublié ses rêves. Tout ce qu’il voulait aujourd’hui, c’était pouvoir mener une vie plus tranquille. Alors il était parti, rejoindre sa mère. La Corée du sud, pays de ses origines. Il voulait son appartement, alors il avait trouvé un travail. Maintenant qu’il s’était habitué à sa prothèse et qu’il s’était remusclé, il pouvait rester debout. Sa carrure imposante lui avait permis de décrocher un job. Agent de sécurité à la KBS Wolrd. C’était mieux que rien. Il pouvait manger et il n’avait pas grand-chose à faire. Mais ce n’était pas suffisant. Il avait besoin de plus.

Il y avait un petit club de football qui recherchait un coach. Il avait postulé. S’occuper d’enfants ? Il n’avait pas peur. Les Cookie Monster. Il avait craqué sur le nom. Swann avait coupé les ponts avec sa sœur. Sans donner d’explication. Mais il n’était pas capable d’oublier Damian. Et puis sa vie avait changé. On lui avait proposé de passer à la télé. Parce qu’il avait le physique pour et que c’était gâcher de le laisser à la sécurité. Il n’y connaissait rien en météo. Mais il avait appris. Il n’imaginait pas un jour se retrouver derrière l’écran à expliquer aux gens devant leur télévision comment ils devraient s’habiller. Il adorait ça. Swann. Vingt-cinq ans aujourd’hui. Abimé, mais en vie.