Est-ce que Sissi prend la bonne décision ? Jisoo n’en sait rien. Il lui semble de plus en plus évident que personne n’est véritablement en capacité de prévoir les conséquences qui suivent inévitablement les choix les plus difficiles. Saisissant le portable que sa cousine lui tend, le jeune homme cligne plusieurs fois des paupières pour tenter de se concentrer et voir un peu plus clair. Il finit par s’asseoir sur le canapé pour se sentir un peu plus stable, et tape le numéro d’Erin qu’il connaît par coeur, perdant de nouvelles minutes sans s’en rendre compte alors qu’il aurait juste pu partir du répertoire de Sissi. Tant pis. Peut-il qu’il va se tromper dans un chiffre, finira par être frustré et abandonnera… Mais ça n’arrive pas. Les tonalités retentissent. Lorsqu’enfin il lui semble qu’Erin ait décroché, un sourire monte au coin de ses lèvres. “Erin…” vient-il dire d’un ton mielleux, qu’il prend souvent lorsqu’il a envie de lui dire des niaiseries. Il secoue la tête dans le vide et soupire. “Oppa est un peu saoul…” lance-t-il avant de rire un peu. Il est trop fort pour cacher sa peine. “Je ne peux pas rentrer tout de suite. Je n’ai pas mon téléphone et… tu me pardonnes, hm ? Tu me pardonnes…” répète-t-il en pensant au sens de ses mots. Le pardonner de quoi ? Pour Erin, il n’a fait qu’un petit détour qui a terminé chez Sissi, vu que c’est de son portable qu’il appelle… “Je suis désolé” finit-il par ajouter d’un ton un peu plus triste, avant de rire à nouveau.

Elle n’a pas mangé. Pas bu une seule goute d’eau depuis  des heures. Et face à l’angoisse et la détresse de plus en plus insurmontable, elle a préféré quitté Max et Junho pour rentrer chez elle. Chez eux. Seule dans ce grand lit froid sans lui, Erin observe le plafond d’un regard aussi vide qu’embrumé. Elles ne coulent pas, ces foutues larmes. Elles n’arrivent pas à se libérer de leurs enclos. Peut être parce que tout ça semble invraisemblable. Impossible, même. Peut être parce qu’elle ne veut pas y croire. Cet appel de Momo, elle l’a rêvé. Ou alors (et même si c’est vraiment de très mauvais gout) c’est une vilaine blague que Jisoo lui fait. Un test, peut être ? Il veut tester son amour ? Un soupir lui échappe, tandis qu’elle continue à caresser le pelage noir d’une Sue ronronnant sur son ventre dénudé. C’était comme si la petite chatte sentait son mal. Comme si elle sentait cet horrible nœud à l’estomac. Elle souffre, Erin. Elle souffre horriblement. Et alors qu’elle commence à peine trouver un semblant de sommeil, le téléphone se met à sonner.  A cette heure si tardive… ? Voyant que l’appel vient de Sissi, elle n’hésite pas à décrocher. Sait-on jamais, peut être qu’elle ou Ryo a un problème ? Sauf qu’en entendant sa voix, son corps tout entier se fige. Son cœur se serre. Ses yeux baignent encore plus de larmes. Jisoo…  “Oppa est un peu saoul…” Saoul ? Malgré l’inévitable inquiétude qui vient la prendre au ventre, Erin ne répond rien sur le coup. Il est donc avec Sissi… ? Ses lèvres se pincent douloureusement entre elles. Si elle le pardonne… Pourquoi cette phrase sonne-t-elle de manière si grave ? Si douloureuse ? « Tu as disparu d’un coup… » Parvient-elle à murmurer, après un lourd silence. « Est-ce que… tu vas bien ? » Questionne malgré tout la belle, soucieuse pour l’homme qu’elle aime.

Le silence s’étire. Malgré lui, Jisoo ne peut s’empêcher de craindre que quelque chose n’aille pas. Que d’une façon ou d’une autre, elle sait où il est allé.. mais c’est ridicule, non ? Il n’a même pas clairement dit à Sissi où il était, alors pourquoi est-ce qu’Erin le saurait… Et un instant il hésite. N’est-ce pas maintenant, qu’il devrait lui avouer ? N’est-ce pas mieux que de garder ça sur le coeur éternellement, maintenant qu’il est sûr qu’il n’aura plus jamais à revoir Momo, si tout du moins elle suit sa demande ? Mais tout ce qu’elle lui a dit… tous ces mots susurrés lui reviennent à l’esprit. Et son regard, tout aussi triste que vide. Faire du mal à Erin ?... Les gens comme eux, ne devraient pas tomber amoureux ? Il revient lorsqu’elle lui pose la question. Aller bien ? “Comment est-ce que ça pourrait aller bien… quand je suis loin de toi ?” vient-il lui répondre d’un air léger. C’est plus facile ainsi. Blablater pour éviter ces sentiments bien trop douloureux, blablater pour éviter de dire des choses trop sérieuses. Dire des choses qui pourraient l’éloigner de lui. “Tu me manques…” finit-il par ajouter en fermant les paupières, sentant malgré lui les larmes lui monter aux yeux à nouveau. Un sanglot lui échappe. “T’inquiète pas…” s’empresse-t-il de dire pour se justifier, en venant effacer ses larmes du revers de la main. “Tu ne dormais pas ? Il est tard…” lance-t-il pour faire revenir le sujet vers elle.

“Comment est-ce que ça pourrait aller bien… quand je suis loin de toi" Malgré elle, un léger rire lui échappe, plus fragile que jamais. Un rire aussi timide que triste, derrière sa jolie sonorité. Quel baratineur… Et alors que cela aurait pu apaiser son cœur, Erin sent les larmes noyer encore plus ses yeux fatigués. Elle a peur. Si peur. Peur que tout ça soit bien réel, que la Choi ait véritablement réussi à injecter son poison entre eux. Et si une part d’elle crève d’envie de lui demander où il était, ce qu’il faisait avec son ex et pourquoi est-ce elle qui a répondu à son appel… La douce anglaise ne dit pourtant rien. Parce que, en parler serait mettre le pied dans un endroit aussi inconnu que terrifiant. En parler la tuerait pour le moment. Elle a trop mal. Beaucoup trop mal. « Toi aussi… » Répond-t-elle tout bas, lorsqu’il lui dit qu’elle lui manque. Et elle l’entend, Erin. Ce sanglot que Jisoo n’arrive pas à cacher. Cette plainte qui confirme ses plus grandes peurs et qui l’oblige à plaquer sa main contre ses lèvres, dans une terrible émotion. Fermant furieusement les paupières, la belle secoue simplement la tête lorsqu’il lui demande si elle ne dormait pas. « Comment pourrais-je bien dormir... si tu es loin de moi… ? » Peine-t-elle à dire en reprenant ses mots, une esquisse tordue par la douleur. « Jisoo, tu… » Ajoute-t-elle, le souffle court et la respiration affolée. Sauf que parler est beaucoup trop difficile. Et bien malgré elle, les larmes finissent par enfin céder. Malgré elle, Erin éclate en sanglots et se met à pleurer très fort, désespérément... aussi bruyante et apeurée qu’une enfant perdue.

Même s’ils sont séparés par des kilomètres, même si la voix d’Erin est brouillée à cause du signal téléphonique… Jisoo a l’impression d’aussi bien la comprendre que lorsqu’ils sont l’un en face de l’autre, les yeux dans les yeux. Lorsqu’elle parle, lorsqu’elle lui lance en retour cette phrase… son coeur se serre douloureusement en sentant la peine qui semble teinter chacun de ses mots. Qu’a-t-elle ? Ses craintes de plus tôt reviennent à la charge. Elle ne va pas bien. Est-ce juste parce qu’elle est inquiète ? Que j’aie bu… que je ne sois pas à la maison… mais serait-elle dans cet état si ce n’était que ça ?. Sa poitrine vient le lancer à la première larme qu’il devine couler le long de son visage. Ses traits se tordent et sa main vient s’accrocher à sa chemise au niveau de son coeur, à cause de la douleur qui vient l’étouffer. “Erin… Erin, ne pleure pas, d’accord ? Je vais rentrer à la maison. Sissi va me ramener, je ne…” lui aussi peine à respirer. Tout entier concentré sur les pleurs bruyants de la Hyun, il se redresse brusquement du canapé. Ses doigts sont tellement serrés autour du téléphone qu’ils commencent à lui faire mal. “Ne pleure pas…” répète-t-il d’une voix tremblante. “Tout va bien. Je te le jure, tout va bien…” lance-t-il en secouant la tête. C’est le cas non ? A partir de maintenant… tout va bien. Ces histoires de la ruiner, de lui faire mal, ce ne sont que des…

Mais n’est-elle pas en train de pleurer, à ce moment précis ? A cause de lui. “Est-ce que je te fais du mal, Erin ?...” répète-t-il d’une voix absente, sans vraiment s’adresser à elle au final. Les mots reviennent. Il tente de se reprendre. “Est-ce que tu veux que je rentre ?” finit-il par lui demander, en espérant silencieusement que la réponse soit positive.

Elle craque. Malgré toute sa bonne volonté, elle ne peut que fondre en larmes comme une orpheline inconsolable. L’impression d’être revenue au temps où elle ne valait rien, où il avait préféré retourner vers elle… Et plus que tout : cette sensation inexplicable de se sentir trahie, tout ça la fait éclater en sanglots. Plus Jisoo parle, plus Jisoo tente de la rassurer et plus Erin se sent mal. Ça ne lui fait pas du bien de l’entendre. Ça ne lui fait pas du bien du tout. Non. Ça ne va pas. Rien ne va en réalité. Pourquoi a-t-il fallu qu’il rompe sa promesse ? Qu’il s’échappe sans rien lui dire, comme un menteur ? Plus que de lui en vouloir, l’eurasienne se sent incroyablement en danger à cause d’une ex beaucoup trop dangereuse pour être sous-estimer. Une ex qui venait d’avaler toute la confiance qu’elle avait enfin trouvé pour être heureuse.  Sa confiance en elle… mais également en lui. Essuyant rageusement ses larmes d’un revers de la main, Erin ne peut que serrer fort une Sue inquiète tout contre elle. Sa petite langue râpeuse vient lécher l’une de ses joues trempées. “Est-ce que je te fais du mal, Erin ?...” Ses pleurs redoublent en entendant cela. Ses mots s’étranglent dans sa gorge serrée. Est-ce que son amour lui fait du mal ? Oui. Non. Elle ne sait plus. Elle ne comprend pas ce qui arrive, ni pourquoi elle se sent si menacée et malheureuse. Et face à son ultime question, un énième sanglot lui échappe. « Je… sais… pas… » Parvient-elle à murmurer beaucoup trop difficilement, s’agrippant une poignée de cheveux. Elle a l’impression de devenir folle, de brûler de l’intérieur. « Je veux… je veux… » Allez Erin. Demande-lui une bonne fois pour toute. « Je veux que tu me dises. Très clairement. Et pourquoi tu es allé la voir sans me prévenir avant… Pourquoi tu as fait ça, Jisoo ? C’était ma seule condition, la seule chose que je te demandais... » Les sanglots repartent à nouveau après ça. Elle est en crise.

La tristesse qu’il perçoit de l’autre côté du combiné l’étouffe. Il se hait d’être si loin d’elle, et de ne pas être là pour la serrer entre ses bras, pour sécher ses larmes… mais est-ce qu’elle le laisserait faire, de toute façon ? Ces larmes ne couleraient pas s’il n’avait pas agi si stupidement. Même s’il ne sait pas comment elle pourrait savoir, il ne doute plus du fait qu’elle se doute de quelque chose ou qu’elle sache entièrement où il était allé… serait-elle dans cet état là, sinon ? A-t-il fait une erreur en voulant lui épargner de ressentir ces choses ? C’est ce qu’Erin finit par lui indiquer. Elle confirme ses soupçons et agrandit un peu plus le trou béant au coeur de sa poitrine, qui ne fait que lui montrer que Momo avait sûrement entièrement raison.

Jisoo lève le regard vers Sissi, tandis que seconde après seconde, toute lueur de vie s’échappe du creux de ses prunelles. C’est trop dur. Il ne peut pas ressentir tout ça. Le silence s’étire et il continue à fixer sa cousine jusqu’à ce que son visage se soit lissé, que sa propre détresse se soit évanouie comme par magie. Jusqu’à ce que tout son corps se sente engourdi et le protège d’une douleur qu’il n’est pas prêt à supporter. Peut-être qu’une part de lui s’accroche encore à Sissi parce qu’elle doit savoir… parce qu’il lui a demandé, un peu plus tôt. Choisis Erin avant moi. C’est tout ce que je te demande… “Pourquoi tu en fais autant ?...” vient-il répondre d’une voix qui ne lui ressemble pas. Il soupire, s’allonge sur le canapé. Rien ne l’atteint. “Pourquoi est-ce que tu poses une question dont tu connais déjà la réponse ?” lui répond-il avant de rire doucement “Est-ce que tu n’aurais pas toi même préféré ne pas savoir ? Est-ce que ce que tu ressens là, tu ne préférerais pas l’oublier si tu en avais l’opportunité ?” Il laisse un silence s’étirer. “ça répond à ta question ?”

Le silence qui s’installe la tue tout autant que la douceur de sa voix grave. Elle ne sait pas quoi faire pour aller mieux.  Ni quoi faire pour balayer les paroles blessantes de Momo qui ne font tourner encore et encore dans son esprit. Pourquoi en fait-elle autant ? Son corps se fige en entendant ces mots. Des mots qu’il déclame avec une légèreté et une désinvolture invraisemblable. Et il la blesse, Jisoo. Il la blesse avec ce souffle passif et ce rire bien trop insupportable. Si ça répond à sa question ? Erin frémit, soupire avec beaucoup trop de difficulté, le visage encore baigné de larmes. Sérieusement ? « Tu t’écoutes… ? Tu t’entends parler ? » Parvient-elle à demander d’une voix brisée, épuisée moralement. Son ton est froid malgré elle. Comment peut-il lui dire ça ? Comment peut-il changer aussi vite de comportement ? « Tu crois… que je serais dans cet état-là seulement parce que tu es allé la voir... ? » Questionne-t-elle en haussant le ton, bien que ce dernier reste encore bien trop fragilisé et doux. Tu crois que ce n’est pas plus profond que ça ? Tu n’as pas idée de ce qu’elle m’a dit. Pas idée de la peur qu’elle me fait ressentir. « Tu… » Non. Qu’elle se taise. Ça ne sert à rien de dire des choses sur le coup de la colère ou de la tristesse. « …Tu as parfaitement répondu à ma question. Merci. » Susurre-t-elle finalement, avec un sourire meurtri. Un sourire glacial et tourmenté. « Je pense pouvoir faire pareil à présent » Assure Erin, à travers des sanglots plus calmes mais toujours présent. « Oui. Tu me fais du mal. Et non… je ne veux pas que tu rentres. » Ses doigts se crispent autour du portable, jusqu’à en ressentir une douleur. « Est-ce que ça répond à tes  questions ? » Achève-t-elle froidement, tristement… Le cœur lourd.

Quelque chose en lui le questionne. Comment peux-tu lui parler comme ça ? Tu te sens coupable, au moins ? Triste ? Est-ce que tu étouffes ?, et la réponse, beaucoup trop violente, est un non doté d’une froideur sans pareille. Il se sent hors de son corps. Aucune émotion ne semble l’atteindre. Cet état… ne lui est pas nouveau. Même dans les premiers temps où il fréquentait Erin, elle l’avait récupéré dans la rue dans le même état. Son mécanisme de défense. Sa sortie de secours… quand tout est trop douloureux à supporter. Les gens comme toi et moi, avait-elle dit. N’est-il pas en train de se prouver que chacune de ses paroles, aussi blessantes qu’insupportables à écouter, étaient vraies ? Peut-être n’a-t-il jamais fait de pas en avant. Peut-être n’a-t-il fait que se convaincre qu’il pouvait être quelque chose d’autre que cette personne incapable de ne pas faire souffrir les autres.

La froideur qui perce dans le ton d’Erin ne lui fait même pas mal. Il l’écoute comme si elle lui parlait de la météo du jour. Seule cette phrase, oui, tu me fais du mal lui donne à réagir : un léger sourire monte sur ses lèvres. Le sourire que sûrement, Momo aurait eu à ce que tous ses dires soient confirmés. Une satisfaction qui vient d’hors de lui et qui pourtant, prend chacune de ses cellules comme si elle était sienne. Il hoche de la tête silencieusement. “Bonne nuit alors” finit-il par déclamer absentément dans le combiné.