A l'horizon le soleil se lève. Tu viens de te garer devant chez toi. T'as passé la nuit à rouler trop vite pour sauver des inconscients, des imprudents. Eveillé à l'heure où tous sommeillent confortablement. Comme toujours t'as qu'une hâte, remplir ton estomac trop vide avant de t'effondrer sous les draps. Tu hais ces horaires, pourtant bien obligé de les faire une fois par mois. Que ce soit pas toujours au même de vivre à l'envers. Le pas las, tu franchis ta dernière épreuve avant le répit. Tes escaliers. Putain d'ascenseur cassé... T'as fini par abandonner l'idée qu'il soit réparé un jour.
Enfin assis à ton comptoir de cuisine, tu souffles et extériorises ton stress du travail, avant de dévorer un restant de kimchi et de poulet frit avec du riz. Un repas qui ne peut s'accompagner que d'une chose: une bière. Certains pourraient te reprocher de boire à l'aube, mais pour toi ce n'est pas plus qu'une fin de journée... Fraîche du frigo, ton index s'apprête à ouvrir la canette lorsque ton irritante notification de messages retenti. Interrompant ton geste qui te promettait pourtant grande satisfaction, tu fronces les sourcils. Qui peut bien t'emmerder à cette heure où tous terminent leurs rêves ?
L'écran affiche le nom de celui qui t'importune, ou plutôt celui que tu lui as donné. Un nom d'oiseau. Même de chien. Un surnom qui pue la rage, parce que t'as plus envie de voir les quatre putains de lettres de son vrai prénom sous tes yeux. Tu grognes, hésitant un instant à ouvrir la conversation, mais finissant par céder à la curiosité.
Un soupire. Tes yeux se lèvent au ciel. Voilà le fourbe qui arrive sur la pointe des pieds pour venir te soutirer faveur. Gosse sans honte qui ne prend même pas la peine de s'excuser et qui espère probablement que tu lui cèdes bien facilement. Mais pense-t-il vraiment que ses mots de la dernière fois se sont déjà effacés ? Que tu pourras passer outre si aisément pour voler à son secours. Lui qui prétendait ne pas avoir besoin de toi. Son rejet, encore vif dans ta mémoire.  
Ça te fait ricaner amèrement de le voir à présent supplier ta présence.
Tu ne veux pas lui offrir le plaisir de te montrer préoccupé. Tu prends plutôt un malin plaisir à tenter de l'écraser un peu. Lui faire regretter de t'avoir un jour repoussé. Te faisant difficile à amadouer. Le sentiment d'être en position de force qui se fait fort agréable malgré ta colère.

Pourtant, tu finis par accepter de voler, ou plutôt rouler, à sa secours. Tu ne sais pas pourquoi. T'aimerais pourtant tant l'envoyer chier, le laisser se démerder. Mais au fond de toi tu sais, t'arriverais pas à être tranquille avec ta conscience... Connaissant l'animal, tu sais bien que, s'il en vient à te contacter, c'est que sa situation est désespérée... T'es probablement sa dernière option, celle pour laquelle il a du se faire violence.
C'est en râlant profondément que tu abandonnes ton repas et ta bière encore close pour retourner mettre tes chaussures. Le maudissant à voix haute, le geste brusque lorsque tu claques la porte derrière toi en oubliant tes colocataires endormis. T'as pas eu le temps de manger correctement, t'as pas bu pour te détendre, et tu t'es pas reposé... Autant dire que tous les facteurs sont réunis pour te pourrir l'humeur. Ce connard à intérêt à ne pas te faire regretter le trajet de deux heures que tu t'apprêtes à faire pour sa sale gueule. Un seul mot de travers de sa part, et tu n'hésiteras pas à changer d'avis pour le pousser hors de ta caisse. Même pas certain que tu t'arrêteras pour le faire. Il n'a qu'à rouler sur l'asphalte...
C'est alimenté de ces pensées haineuses que tu prends la route. Fermé, t'en allumes même pas la radio, toi qui aimes pourtant te dandiner au volant en chantant trop fort sur les musiques de groupes féminins. Tu passes le trajet en silence, péniblement concentré sur la longue route. Partagé entre l'envie de faire demi tour et cet incompréhensible besoin d'être là pour lui. Pauvre con naïf et manipulable.

Après un trajet qui te semble interminable, tu arrives enfin à l'endroit qu'il t'a indiqué. Un rapide coup d'oeil, t'aperçois sa tête décolorée qui t'attends presque trop sagement et t'arrêtes ta vieille Nissan à sa hauteur, portière passager de son côté. Tes yeux fixent le bitume devant toi. Tu ne veux pas croiser les siens. Tu ne dis rien, la mâchoire crispée, t'as même pas klaxonné pour t'annoncer.
Comme une dernière hésitation, t'as pas encore déverrouillé les portes. Est-ce que t'as vraiment envie de te taper sa tête de con sur tout le trajet de retour ? Tes doigts se crispent sur le volant. Et une première tentative échouée de sa part pour ouvrir le véhicule te sort de ta réflexion.
Encore un soupire qui te parait être le centième ce soir. Sans tourner la tête, continuant de l'ignorer, tu te penches vers la portière pour en désactiver manuellement le verrou de ta voiture en manque de technologies modernes. Lui faisant un bref geste de la main pour l'inviter à réessayer en entrer.
Tu grimaces lorsque sa présence envahi l'habitacle. "Du coup j'imagine qu'en plus de pas sucer, ton mec sait pas conduire ?" Aigri, t'as pas pu t'empêcher la remarque. Attaquant dés que ses fesses se posent sur siège et que la portière claque. Tu trouves dans le fond ça bien étrange que ce soit toi qui doives venir le chercher alors qu'il t'avait mit de côté en sa faveur. Pourquoi donc ce fameux Isaak n'est-il pas celui qui est venu le sauver ? "Ou alors il t'a déjà brisé le coeur...? " T'ajoutes à ta réflexion. Affichant un désintérêt profond, mais toutefois curieux d'entendre en réalité la réponse.  
Voilà qui promet un voyage agréable et une ambiance chaleureuse dans cette voiture... Tu grimaces en démarrant. Bien conscient d'être celui qui cherche la merde, et en même temps incapable de retenir ces pulsions rancunières.

Et ça s'accumule, ça s'empile, ça s'entasse et puis ça se fracasse. Galère sur galère,  il enchaîne les situations impossibles, celles qui lui font se demander pourquoi il avait encore terminé là, sur un trottoir et sans moyen de retour à la casa. Le portefeuille disparu, les poches vidées et une soirée déchirée avec l'esprit complètement à côté. Et si il avait pu, Nino ne l'aurait pas appelé lui. Il aurait pas choisi de cliquer sur son numéro, il serait rentré par ses propres moyens, si il en avait eu à sa disposition. Plus simple d'aider que de se faire aider, encore plus quand ça fait des jours, des semaines qu'il évite de franchir la porte de l'appartement face au sien, celui qu'il aura si longtemps considéré comme l’extension du 404. La rancune tenace, la fierté trop grande. Borné, à pas vouloir se l'avouer ; Wubin lui manque. Un soupire et pourtant, il s'était lancé, il avait osé faire le putain de pas avec la maladresse qui va bien avec, grossièrement brusque et ridicule.

Y avait plus qu'à attendre et 'fallait pas le connaitre depuis longtemps pour le savoir, la patience n'allait pas au Choi. Il s'était posé, restant planté au même endroit et voyant son téléphone mourir dans la foulée. Sans plus de repère, plus d'une fois il crut qu'il ne viendrait pas, qu'il aurait bien fait demi tour et que lui, comme un con, resta simplement injoignable... Et pourtant, quand il put enfin voir la voiture apparaître au coin de la rue, il l'avait libéré d'un putain de soulagement. Wubin était venu malgré tout. Il se relève et s'avance, la main sur la poignée mais rien ne s'ouvre et comme une réaction de gosse dont l'impatience avait atteint sa limite, il répète le geste avec insistance, comme si ça fera céder le verrou. yah, Wubin.  w u b i n putain de - Enfin, ça cède et s'ouvre dans le grincement de portière, le laissant prendre place sans que les regards se croisent. Le silence est lourd, l'ambiance mauvaise, il le sait et les premiers mots posent le cadre. c’est pas mon mec. Il tique toujours autant, il s'y refuse toujours autant et le blanc qui suit est significatif avant qu'il ne reprenne.   il a pas de voiture et je l’aurai pas appelé...mais c'est pas mon mec  Il fixe lui aussi le bitume droit devant eux, les sourcils froncés barrant durement son expression. Isaak était personne et il le voyait même plus. Et il lui manquait pas, de toute évidence, parce qu'il l'avait jamais aimé, ce connard. Alors lui crever le coeur ?  Personne n'avait le droit de lui briser à nouveau, sûrement pas lui.  ...t'es con.  Mais c'était lui le con, lui qui se croyait même pas, lui qui se brisait sans l'aide de personne et p't'être que si il lui avait simplement dit ça, que c'était fini sans avoir commencé, il aurait apaisé les tensions... Mais faut croire qu'il ne sait vraiment pas y faire. S'enfonçant dans le siège, il veut pas encore en parler, il veut pas se prendre la tête sur une histoire qu'il considère comme inexistante. Nino, il voudrait se voiler la face éternellement, et que tout redevienne comme avant, que la gêne entre eux disparaissent. t'as pris les clopes ? Mais c'était croire au miracle car dans le meilleur des cas, il terminera sur le bord de la rue d'ici deux kilomètres.

Pas un regard. Pas plus d'une fraction de secondes, le temps de l'identifier sur ce bout de trottoir. Les yeux déjà détournés, déterminé à ne pas croiser les siens. Il s'installe sur le siège passager comme une ombre dans le coin de ton iris. Trop de rancoeur, ton organe vital en palpite. La tentation de serrer le poing pour le lui faire bouffer. Les doigts crispés sur ton pauvre volant.
Et déjà la langue qui fâche. Comme obligé de provoquer. Pourtant la guerre t'épuise, ton ami te manque. Mais tu ne peux pas effacer votre désaccord si facilement. C'est plus fort que toi, tu ne veux pas céder. Même si en quelque sorte, tu viens de le faire en te tapant toutes ces bornes pour sauver celui qui prétend ne pas avoir besoin de toi. T'as trop de fierté pour sourire et lui tendre la main. Pour ne pas essayer de le piquer. Tu veux qu'il soit le premier à s'excuser et tu refuses de te montrer tendre avant d'avoir entendu ces mots. "C'est toi qui est con." Repartie de gamin grognon. Trop blessé que pour faire preuve de maturité. Tu n'insistes pas sur la conversation. T'as beau l'avoir lancé, t'as vraiment pas envie d'entendre encore parler de ce mec. Peut-être que t'espérais juste l'entendre te dire que c'est bel et bien fini. Mais ça n'a pas l'air d'être le cas... Et ça te laisse amer.
Silencieux, les yeux rivés sur la route, seul le ronronnement du vieux moteur se fait entendre. En devenant oppressant. Le moindre détail semble tendre d'avantage tes nerfs. Le simple fait de l'entendre respirer, ça te crispe d'avantage. Tout te donne envie d'exploser.
T'aimerais être moins compliqué, moins rancunier. Pouvoir juste te fendre d'un rire face à votre situation idiote, vos querelles enfantines. Parce que ta mission de sauvetage ne fait que confirmer une chose, vous avez bel et bien besoin l'un de l'autre, et votre dispute était ridicule. Lui qui t'appelle à l'aide, toi qui fonce. Vos actes confirme votre affection et pourtant, vos mines restent renfrognées. Une attitude qui prend des airs de comédie. Question de principe de ne pas abandonner la colère.  

Tu ricanes froidement à sa question, comme si on venait de te demander la plus outrageante des requêtes. Même pas un s'il te plait... Le cubain fidèle à sa réputation. Attitude qui t'agace. Tu tires toutefois sans un mot ton paquet de cigarettes de ta poche pour en sortir péniblement une de ta seule main libre. Vicieux, c'est entre tes lèvres que tu la fais glisser. Tendant ensuite seulement un majeur provocateur dans sa direction. "T'as qu'à fumer ça." Sortant ton briquet, t'allumes ta clope avec arrogance. Tu fumes juste pour l'énerver. "Espèce d'ingrat, t'es pas capable de dire merci et t'espères vraiment que, en plus de me taper toute cette route pour ta sale gueule, je te file gracieusement des clopes comme ça ?" Hors de question que tu lui cèdes encore tant qu'il ne s'est pas montré reconnaissant.  Faudrait qu'il arrête de te prendre pour un idiot à son service. "J'suis pas ta boniche non plus." Tu grognes. "Petit con." Soufflant à demi mots l'injure dans ta fumée. T'as cette envie d'exploser qui continue de gronder en toi. Et tu finis par t'emporter seul, à cause de sa simple demande, la goutte de trop. Toujours stupéfait par son impertinence. "Je bosse toute la nuit, j'ai même pas le temps de bouffer et de dormir, je viens tirer ton pauvre cul de ce trou perdu et toi, même pas une once de putain de gratitude. Franchement tu mérites juste que je te re-dépose sur le trottoir. Je sais même pas pourquoi j'ai accepté de t'aider." Tu t'acharnes rageusement sa la manivelle pour ouvrir ta fenêtre et laisser les vapeurs de nicotines s'échapper dans le vent. "Dans le fond t'as raison, je suis vraiment con. J'imaginais presque que ça puisse te faire plaisir de me voir, que tu veuilles vraiment que ce soit moi qui vienne te chercher et que tu regrettes ce que tu m'as dis la dernière fois. Mais j'imagine que j'étais vraiment juste ta dernière option." Oui, t'avais cet espoir dans un coin de ta tête, de le voir soulagé de te voir. Que ce soit toi et pas un autre. L'entendre admettre qu'il a besoin de toi, qu'il avait tord. Que tu lui as manqué. Mais là, t'as juste l'impression de te faire utiliser. Et au final, tu te retrouves à céder face à ta rancune. Cette amertume qui te consume et te fait voir rouge. Presque trembler. Arrêtant alors subitement ta voiture en bord de route dans un crissements de pneus. "Si tu veux continuer de jouer les ingrats, descend ici et démerde toi. Parce que je te jure là tu me donnes juste envie de t'en coller une, et je peux pas rouler dans cet état !" Pour la première fois tu te tournes vers lui, plantant tes yeux décidés dans les siens pour lui montrer à quel point tu es sérieux. Tu attends fermement ta gratitude. Au moins un minimum. De quoi te calmer un peu.

Les répliques ne volent pas plus haut et les regards tendent à s’éviter. Le comportement de déni face à une confrontation pourtant évidente, Nino voudrait ne pas à avoir à en parler, à pas avoir à régler le problème sous son nez alors que c'est lui qui aura mis les pieds dedans. Aveugle quand il le veut et connard idiot dans la foulée. Ça l’aurait tué de l’avouer, ça lui écorchait sa fierté de merde et c’est tellement plus simple de demander une clope que de s’excuser, pensant que la conversation se lancerait au fil des kilomètres, qu’ils se seraient retrouvés sur le chemin. A la place, elle allumera l'étincelle et fera tout exploser. D'abord d'un grognement et d'un regard prêt à le bouffer pour ce majeur qui a sûrement mérité, la suite est complètement incontrôlable. Tellement de rage et de mots qu'il peut que, comme un con, rester à le fixer s'emporter, s'exciter contre cette fenêtre s'ouvrant, le grincement couvert par son discours. Nino, muet  et presque envieux. A l'instant, lui n'a pas les paroles qui lui viennent si facilement, bon à dire des putain à chaque sentence, bon à écrire des lyrics mais quand il fallait avouer quoi que ce soit ? alors là, il restait plus personne. Juste un pauvre mec qui laisse un rictus lui échapper en s'enfonçant dans le siège, fermé comme une huître, buté comme un caillou. Il ferait mieux de sortir de sa caisse au crissement des pneus. Sa fierté lui gronde de le faire, de saisir si violemment la poignée mais il fait rien, il bouge pas son cul de là. Il sait que ça briserait un truc, comme ça avait déjà été le cas, conscient de cette déchirure un peu plus à l'instant. Et ça... ça, l'idée était encore plus insupportable que de continuer à s'éviter. mais putain FERME LA DEUX SECONDES, t’as fini, c’est bon ? Il se casse pas. Il le laissera pas le foutre sur le bord du trottoir et pas parce qu'il voulait pas rentrer à pieds. Il se tourne vers lui décollant son dos du dossier du siège et ça l'emmerde presque finalement, d'être dans ce véhicule où bouger devient chose compliquée. je t’ai pas appelé parce que t’étais le dernier ok. Enfin, si. Mais non, c’est pas. Rah, putain wubin t’es trop con à la fin !! Il grogne ses mots en détournant le regard, frustré de lui-même et cette capacité inexistante à s'exprimer. Incapable de comprendre sa propre honte ou sa lâcheté ça me GONFLE cette situation. Toujours aussi maladroit, toujours aussi immature, pourtant, franchement il essaie. Il essaie vraiment. Ouais, je le pensais pas la dernière fois et ouais, putain, mais OUAIS Wubin. T’es ma famille et tu resteras ma famille... tu passeras avant les autres parce que je sais que tu me laisseras pas tomber comme jte laisserai jamais tomber. J'viendrais te chercher à Busan si tu me le demandais.  Comme si il pouvait quantifier leur amitié avec la distance des villes. Mais c'était dans l'idée ouais, et parce que la géographie en dehors de la Corée - et même la Corée- c'était pas son fort.   Mais putain ça me fout en l’air de … enfin tu vois quoi, toi et moi !  Y avait qu'à le voir, à gesticuler dans tous les sens, à parler de ses gestes quand les paroles étaient compliqués à sortir. A froncer les sourcils, soupirer, grogner et agir comme un gosse alors qu'il aurait été plus simple de s'excuser mais aussi de lui dire qu'il voulait pas le perdre et qu'il voulait pas le voir s'en aller en sachant au fond que ça laisserait leur relation à l'état actuel : fissurée.

Depuis ce jour où ta curiosité t'a porté malheur, ton coeur fait mal. Mal de ce sentiment qui t'effraie le plus. Celui de la peur, peur de l'abandon. Lourd et répugnant, il tisse sa toile tel un arachnide, tirant ses fils au travers de toute ton âme jusqu'à l'emprisonner. Te faire sentir chaque bouchée qu'il prendra de toi, venu le moment du festin.
T'as déjà perdu ton lot d'êtres aimés, depuis tu paniques dés qu'un dos se montre à toi, dés que quelqu'un marche un peu plus loin. Angoissé à l'idée de pouvoir disparaître de son horizon, qu'un brouillard épais te fasse oublier. Crainte qui t'a rendu possessif et jaloux à en devenir fou. Vices qui ne cachent qu'un besoin d'être rassuré. Mais le cubain n'est pas de ceux qui te murmureront paroles réconfortantes pour t'apaiser, la main tapotant ton épaule. De ceux qui ravalent leurs propres émotions pour se plier face à tes peurs. Il ne te traitera pas comme un bambin, il te laissera plutôt te démerder jusqu'à tu te sortes tes angoisses de ta tête par toi même. Comme un homme. Ou tout du moins, c'est l'impression qu'il a laissé sur ton coeur blessé. Et tu lui en veux, de t'avoir laissé de cette façon. Même si c'est égoïste de ta part. Toujours à espérer que les autres se plient à tes états d'âmes. Gamin qui refuse d'apprendre à mordre sur sa chique et d'accepter que tu n'es pas le seul à avoir des difficultés. Le seul à pouvoir être blessé.
La voiture dramatiquement arrêtée sur ce bord de route qui semble perdu au milieu de tout, comme un ultimatum lancé. Prêt à le foutre dehors et pourtant, tu ne demandes qu'à le retenir.
Ta colère rend ta conduite dangereuse, mais t'arriverais probablement encore moins à te concentrer sur la route si vraiment il prenait l'option de sortir. Ta conscience bouffée par l'idée qu'il se retrouverait là, coincé sans avoir idée d'où il se trouve, sans argent et sans portable. Alors, intérieurement, tu pries pour qu'il choisisse l'apaisement plutôt que cette solution. Pour ne pas être celui qui change d'avis et supplie qu'il remonte en perdant ainsi toute crédibilité.
Tes émotions vacillent. D'abord outré lorsqu'il te dit de la fermer, puis content d'entendre que tu n'étais pas le dernier avant de te vexer lorsqu'il se corrige. Ta tête semble avoir été mise sur un mode d'affichage aléatoire. Passant par toutes les expressions en attendant de savoir sur laquelle s'arrêter.
Toi aussi, elle te gonfle cette situation. Elle est tellement inconfortable. Tu te détournes dans un soupire, t'acharnant sur ta cigarette pour te canaliser.
Puis enfin, il semble sortir les mots que tu attendais. Je le pensais pas. Lueur d'espoir qui s'allume en toi lorsqu'il admet. T'as envie d'esquisser un sourire victorieux, mais tu optes pour une mine boudeuse un peu plus longtemps. C'est plus fort que toi, de pas céder si rapidement. T'as besoin de te montrer difficile. De pas lui offrir ta joie sur un plateau d'argent. Même si tu sens ton coeur se gonfler à ses mots, rassuré. Pour la première fois depuis votre déchirure, t'arrives à de nouveau voir un avenir pour vous. Comme s'il venait de te confirmer que cet état de colère et de rancoeur n'est pas destiné à devenir votre pour toujours. Dans ce ciel gris, un rayon annonçant une éclaircie.
Tu trifouilles alors dans ta poche pour en sortir à nouveau ton paquet de cigarettes. Symboliquement, tu l'envoies atterrir sur ses genoux, sans un mot. Tu te fais violence pour modérer la main que tu tends en retour. Pour ne pas devenir pathétique en t'écroulant dans ses bras comme t'aimerais pourtant le faire. L'agripper et lui faire promettre de ne jamais t'abandonner, même si t'es une plaie parfois. "Moi aussi, ça me fout en l'air." Tu réponds simplement d'une voix neutre en reprenant ton volant, le pied sur l'accélérateur, les roues qui se remettent en mouvement. A nouveau le vent qui s'engouffre par ta fenêtre ouverte et caresse tes cheveux. Frais, il court sur ta peau avec un sentiment doux, et t'as l'impression de soudain pouvoir à nouveau respirer.  
Le silence à toutefois reprit sa place, pourtant moins lourd. Pour te laisser penser et prendre le temps de savourer ta lueur d'espoir. "T'es vraiment con parfois, tu sais ça." Tu finis par sortir gratuitement, sans haine. Juste un soupire et le début d'un sourire. C'est presque ta façon de lui dire que tu tiens à lui. Des déclarations cachées derrière de tendres insultes.
Sur la grande autoroute au paysage si plat, tu décides alors de t'arrêter à une station essence. Sortant cette fois de ta poche ton portefeuille, tu en tires un billet que tu lui tends. "Va acheter du café s'il te plait, sinon je vais m'endormir au volant. Et prend toi un truc à bouffer aussi." Tu peux pas t'empêcher de songer à estomac qui doit être bien vide après ses déboires. "Après, il faut que je te parle. Il faut que je t'explique pourquoi je prend ça tant à coeur." Sérieux, tu veux mettre les choses à plat. Ce n'est pas parce qu'il a avoué ne pas avoir pensé ses mots que votre relation va redevenir miraculeusement comme avant. l'abcès est percé, mais pas vidé. Et tu as ta part de tords à justifier aussi. Besoin de lui dire ce que tu as sur le coeur.

Ca les fout en l'air. Et sans même en prendre conscience, Nino a trouvé les putain de mots, décrivant exactement comment il se sentait face à ça. Un sentiment partagé malgré cette situation déchirée, les affectant tous les deux d'une façon inattendue. Tout avait dérapé, glissant entre leurs doigts de façon si incontrôlable qu'ils en avaient atteint, l'espace d'un moment, presque l'irréparable en serrant leurs poings. Si révolté qu'ils cogneraient, si ils avaient été deux simples étrangers. Putain que ça aurait été si simple si Wubin n'avait pas été Wubin. Si Wubin n'était pas devenu sa famille, restant ce mec paumé sur le trottoir de sa rue qu'il aura croisé un matin.  Plus simple que d'admettre à quel point il avait besoin de lui, encore plus aujourd’hui. Le paquet atterrit sur ses genoux, attirant malgré lui son regard et le forçant à s'y accrocher. Les gestes auront la signification que les paroles auront pas, comblant le silence avec signification et l'insulte ne sonne plus comme un reproche ou comme une agression. aish...toi aussi. Et c'était de cette même façon qu'il répondait à cet aveu muet, dans cette réplique de deux gamins n'assumant pas être adultes, détournant le regard sur la route défilant à nouveau sous ses yeux.

Machinalement, sans un regard, ses gestes opèrent, ancrés dans un quotidien, une routine et une mauvaise addiction imprégnée jusque dans sa chair. Ses doigts tirent le bâton de nicotine et , la cigarette au bout des lèvres, il l'allume dans un soupire, laissant le poison s'infiltrer jusque dans ses poumons. Ses doigts se perdent sur les boutons de la radio, tentant de capter une station meilleure qu'une autre...En vain. Il avait jamais capté, p't'être parce que ça faisait longtemps qu'on lui avait piqué la sienne, de sa caisse aussi défoncée que celle de l’ambulancier. Alors il laisse tomber, non sans avoir cogné d’un coup de poing le truc en grognant.  

Ils mettent pas longtemps à la voir, la station service se dessinant et bientôt, il fixe le billet tendu et la liste de course. Dans un vague mouvement de la tête, il est prêt à sortir mais sa main s’arrête sur la portière entrouverte. Y avait pas pire comme situation que celle annonçant une discussion longue où il sera pas à l’aise. Les faut qu’on parle, quand on préfère pas parler. Pire, quand on pense que tout est déjà terminé. Il hoche pourtant une fois de plus la tête dans un vague ouais, j’arrive inconfortable, avant de claquer après lui.

Les différents gimbap dans un sachet en plastique et les deux cafés en main, il traverse le parking, contourne la voiture pour le rejoindre du côté conducteur. Pour une fois, il avait rien piqué en plus. t'sais, jpeux conduire si t'es claqué hn. Une gorgée à lui brûler la gorge et il pose le gobelet sur le toit de la voiture. tiens, ton café et la monnaie...je te rembourserai Il marmamone en tendant celui de Wubin, puis l’argent. Quand il aura le fric, sûrement. Il engloutit presque son repas de riz, de viande et d’oeuf, de quoi suffisamment caller son estomac soumis à ses horaires étranges et nocturnes puis, récupère le récipient au liquide encore brûlant. File tes clés Il pouvait au moins faire ça. Il lui devait au moins ça.