Les yeux sur le vide d'une vie qu'ils avaient construite, avec cette sensation de plus être à sa place. Pourtant, il se souvenait l'avoir voulu. Il avait voulu cet appartement, même si ça lui demandait de faire quelques heures sup' par mois. Il avait voulu ce canapé, même s'il avait fallu le monter par les escaliers et en écouter les plaintes de son frère et son cousin. Il se souvenait avoir débattu sur la couleur de la vaisselle, alors qu'il en avait pourtant rien à foutre. Ils s'étaient battus mais jusque là, ils avaient toujours réussi à construire. Alors ouais, il se souvenait avoir voulu tout ça, la cafetière aux fonctions qu'ils utilisaient pas, cette lampe dont l'ampoule est à changer depuis trop longtemps, ce meuble qui leur aura coûté un bras, l'os de l'épaule avec... Ce berceau, qu'il avait monté de ses mains, pour le détruire des mois plus tard jusqu'à se les bousiller.  Et cette pièce, cette putain de pièce qu'ils ouvraient plus.

Et aujourd'hui, c'était à plus rien y comprendre. A reconnaître sa vie sans vraiment la connaître. A pas s'y retrouver, ici. A pas s'y sentir chez lui. Y avait eu cette cassure invisible, celle qu'on aurait aimé vouloir réparer. Coller, attacher et solidifier à la force de leurs bras. Mais le temps est passé et l'espace ne lui avait jamais semblé si béant entre eux. Quelque chose ne s'était pas simplement brisé, laissant cette plaie si profonde que le moindre effort aurait été vain. Et Minho, Minho en avait arrêté de s'acharner, il s'était contenté de l'observer s'éloigner de lui. De perdre en l'espace d'une nuit, les deux personnes qu'il aura jamais autant aimé sans pouvoir y changer son destin.

Il pourra pourtant le sentir, ce regard posé sur lui lorsqu'il attrape le briquet et allume sa clope d'un craquement de roulette métallique, ce jugement et cette rage non-rationnelle étouffée ; comme si ça avait été sa putain de faute. Et il fera ce qu'ils auront fait de mieux jusque là, s'ignorer simplement plutôt que se bouffer d'un chagrin qu'ils avaient en commun... Et cette cigarette coincée au coin de ses lèvres, il en attrape les clés sur le meuble de l'entrée, récupère sa valise dans la chambre. Eunwoo aura jamais compris la raison, ce putain de pourquoi du comment il avait pu la laisser partir et comment il l'avait simplement conduit à l'aéroport. Comment Minho l'aura simplement observé s'avancer jusqu'aux premiers portiques sans même se retourner. Et son coeur ne s'était pas même éveillé d'un pincement, totalement anesthésié. Eunwoo avait foutrement rien compris, mais aucun ne l'avait compris. Pas même lui-même.

Et ça l'avait pris soudainement, cette peur à nouer les tripes, à tordre son coeur d'une crainte immense qu'elle s'y sentait noyée. La musique cogne contre la porte d'une soirée d'étudiants, baignant dans le flot de consommations alcoolisées et son corps se coince un peu plus contre le mur, dans une toilette de cette trop grande maison qui aura vu plus qu'elle n'aurait du voir ce soir. Et y avait pas besoin de raison. Y avait même cette absence de raison qui faisait tout, qui faisait courir l'hérésie à sa perte. Elle avait juste glissé, comme à chaque fois. Elle avait ri un peu trop fort, elle avait dansé un peu trop longtemps, elle avait laissé son coeur dans les mains d'un autre un peu trop souvent. Et l'alcool est parfois si amer, à mordre la chair par ses regrets enfouis. A faire réapparaître les cadavres enterrés tels des fantômes tourmentés, prêt à lui rappeler que la limite de la folie était si mince. Que la vague de ses propres sentiments incontrôlables, plus facile à foutre sur le dos d'une bouteille entre ses mains, n'est qu'un trait de sa personnalité ancré en elle. Une part d'elle. Cet ouragan déglingué qui fout en l'air plus d'une vie.  Elle est si folle, Liza, elle est si hystérique et complètement bancale. C'est pas une fille bien. Y a un truc qui lui échappe, qu'elle s'échappe à elle-même. Un truc plus grand qu'elle, hors de contrôle, coincé dans sa propre tête et connecté à cet organe vitale, prêt à la faire chavirer d'un battement.  LIZ, OUVRE PUTAIN, QU'EST-CE QUE TU FOUS ? Ca l'arrache à sa propre réalité. Elle l'avait appelé, comme elle l'appelle quand elle est à ce rebord d'un gouffre immense et qu'elle s'y sent emporter. Qu'elle a plus pied et que tout se dérobe avec ou sans raison, quand y a juste plus le choix. Son corps bouge enfin, le froid frigorifiant ses membres alors qu'elle s'y tire. La porte s'ouvre, empêchant son poing de s'abattre contre la surface, le laissant la découvrir, toujours à même le sol. Les yeux ruinés de noir, les larmes aux lèvres. Elle s'y est tirée, elle s'est pas levée. Elle le laisse la voir à son plus bas, et elle le laisse, encore une fois, la récupérer en miette. Son regard s'ose à rencontrer le sien avant que la marée ne remonte avec les émotions. j'suis là, jte lâche pas Liz Sa main dans la sienne telle une promesse et son corps s'accroche soudainement au sien comme il l'aura toujours fait dans le désespoir d'un soir. Elle se déteste. Elle laisse la haine la dévorer à son tour, et elle s'accroche, elle agrippe, elle s'enfonce, elle s'enfouit en lui. Elle le laisse de tout son poids supporter le sien. Ses sanglots doublent et s'étouffent, ses doigts se resserrent sur le tissu. Bouffée, rongée, totalement consumée. Qu'il ne la lâche pas. Que Nino ne la lâche jamais.